Après une grève infructueuse, vingt-huit tisserands décidèrent de fonder la Société des Équitables Pionniers de Rochdale, le 24 octobre 1844, dans le comté de Lancastre en Angleterre, dans le but « d’améliorer les condition domestiques et sociales de ses membres, au moyen de l’épargne ».
À raison de quatre sous par semaine, rapidement portée à six, les cotisations furent collectées, constituant en peu de temps un capital de 700 francs. L’objectif était ambitieux : « Aussitôt que faire se pourra, la Société procédera à l’organisation des forces de production, de la distribution, de l’éducation et de son propre gouvernement ou, en d’autres termes, elle établira une colonie indigène se soutenant par elle-même et dans laquelle les intérêts seront unis. »
Leur « magasin d’approvisionnement » fut inauguré le 21 décembre de la même année, Toad Lane (rue des crapauds). Si la variété, la qualité et la quantité des produits proposés n’étaient guère encourageantes au départ, la société comptait tout de même 80 membres fin 1845 et possédait un capital de plus de 4 540 francs. Celui-ci recevait un intérêt de 5% sur les profits et, une fois les dépenses réglées, le restant était partageait entre les acheteurs, au prorata du montant de leurs achats.
Fin 1847, 110 membres étaient adhérents à la Société dont le capital s’élevait à plus de 7 000 francs. Les trois étages du bâtiment furent alors loués pour disposer d’une salle de réunion et d’une salle de lecture disposant de journaux et de livres.
Fin 1849, 390 membres réalisaient plus de 4 000 francs de ventes hebdomadaires et le capital de la Société approchait des 30 000 francs.
Contrairement aux premières sociétés coopératives qui s’étaient perdues dans le crédit, celle des Équitables Pionniers avait su éviter cette cause en imposant le paiement comptant.
L’auteur, année après année, rapporte les étapes de développement, l’évolution des règles, la nature des débats, également les inévitables écueils, qui, lentement mais sûrement, menèrent cette Société vers une réussite exemplaire. En 1851, ses membres étaient au nombre de 630 et son capital frôlait les 70 000 francs.
Puis les Pionniers songèrent à fonder sur des bases analogues la production coopérative. En 1854 et 55, deux filatures furent établies d’après le principe de l’association des travailleurs aux bénéfices mais en 1860, une majorité de membres se prononça contre ce principe.
Un correspondant du Times rapportait qu’« au début, le mouvement coopératif a rencontré beaucoup d’opposition de la part de ceux qui croyaient y voir une expérience communiste ou socialiste. (…) Aujourd’hui, les manufacturiers préfèrent les ouvriers coopérateurs à tous les autres. Leurs habitudes d’aide mutuelle, de prudence et d’ordre les placent considérablement au-dessus des ouvriers ordinaires. »
En 1860, fut instituée une « Société de prévoyance en cas de maladie et de secours pour les funérailles ».
En 1862, la Société ouvrit un nouveau magasin puis un autre, une boucherie et des étables, l’année suivante, puis encore deux autres en 1864.
En 1865, les ventes s’élevaient à 1 950 000 francs et la Société étaient composée de 5 300 membres.
Ce fut ensuite un magasin de ventes en gros qui fut établi, afin d’alimenter d’autres magasins coopératifs dans tout le pays (plus de 600 !).
En 1867, trente-six cottages furent élevés par la nouvelle « Société de construction ».
2,5% des bénéfices nets étaient consacrés à un but d’éducation générale. L’auteur raconte le développement de la bibliothèque, de l’école pour les enfants avec des professeurs rémunérés. Il souligne que cette « règle d’or », « en contribuant au progrès intellectuel et moral des coopérateurs, a préservé la Société elle-même de voir ses règles entamées pu détruites par des hommes ignares ou mal informés ».
Il décrit précisément les avantages évident apportés et les réticences à combattre, notamment dans les premiers temps contre les méfiances et la préférence à vouloir un bénéfice immédiat plutôt que reporté. Il calcule la situation de plusieurs sociétaires s’ils ne l’avaient pas été et démontre que l’épargne constitué par les bénéfices redistribués était non seulement réelle et non négligeable mais elle leur a tous permis d’échapper à l’endettement.
Ce document fort intéressant a été traduit en français en 1890 par Marie Moret, assistante et compagne de Jean-Baptiste Godin, fondateur de la fabrique des poêles éponymes et du palais social Familistère à Guise.
HISTOIRE DES EQUITABLES PIONNIERS DE ROCHDALE
George-Jacob Holyake
Traduit par Marie Moret (1890)
114 pages – 6 euros
Éditions du Commun – Collection Culture des précédents – Saint-Germain-sur-Ille – Septembre 2017
http://www.editionsducommun.org/
La collection Culture des précédents se propose de faire redescendre de sa majuscule cette histoire qui se croit – ou qu’on voudrait nous faire croire – unique. Celle qui serait une version racontée et construite, construite à force d’être racontée, par les manuels scolaires, les grandes commémorations, les blockbusters, les reportages, documentaires et journaux télévisés…
Cette histoire majuscule a découpé notre passé de manière binaire, avec d’un côté les victoires et de l’autre les défaites. Une histoire qui prescrit ce que l’on retient et ce que l’on oublie.
À cela, une façon d’y répondre : y opposer une multitude d’histoires et de récits singuliers.
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