« Le catastrophisme d’État n’est très ouvertement qu’une inlassable propagande pour la survie planifiée – c’est-à-dire pour une version plus autoritairement administrée de ce qui existe », pour justifier « la dictature des plus savants, ou de ceux qui sont réputés tels ». Face à la menace, il n’y aurait plus d’alternative qu’entre « la soumission repentante aux nouvelles directives du collectivisme écologique et le pur nihilisme ». Si les auteurs se déclarent hostiles à ce qui pourrait tout de même passer pour « une prise de conscience, ou du moins un début de lucidité », c’est qu’ils considèrent que cette catastrophe n’est qu’un fragment de la réalité, qui persiste dans l’aveuglement, refuse d’agir sur les causes et se montre incapable de les considérer lucidement. En effet, la critique de la dégradation irréversible de la vie terrestre due au développement industriel n'a pas été un facteur de révolte mais au contraire elle s'est intégrée sans heurts à la soumission et participe surtout à « l’adaptation à de nouvelles formes de survie en milieu extrême ». En achevant de saper toutes les bases sur laquelle reposait la société industrielle, celle-ci crée des conditions d’insécurité « telles que seul un surcroît d’organisation, c’est-à-dire d’asservissement à la machine sociale, peut encore faire passer cet agrégat de terrifiantes incertitudes pour un monde viable ». Les auteurs observent dans l’histoire moderne, chez les masses, « une assez constante détermination à ne pas se révolter en dépit de ce qu’elles savaient », ou du moins à se comporter en dépit de tout comme si on ne savait pas, à croire encore et toujours, malgré tant de démentis, à « l’idéal maintenu de la rationalité technique », au modèle déterministe de la connaissance objective, à l’efficacité promise par une telle connaissance. En réalité, les scientifiques ne savent rien de certain des processus qu’ils s’affairent à modéliser. La réalité du désastre « est inconnaissable par les moyens qui ont servis à la produire ». « La science et la technologie modernes s’apparentent à un mouvement de masse totalitaire ; et pas seulement (comme l’avait révélé Theodore Kaczynski) parce que les individus qui y participent ou s’y identifient en retirent un sentiment de puissance, mais aussi parce qu’une fois admis le but profondément délirant qu’est celui d’un contrôle total des conditions de vie, une fois abdiqué tout sens commun, aucun désastre ne suffira jamais à ramener à la raison le progressiste fanatisé. Il y verra au contraire un motif supplémentaire de renforcer le système technologique, d’améliorer la sécurisation, la traçabilité, etc. C’est ainsi qu’il devient catastrophiste sans cesser d’être progressiste. »
René Riesel et Jaime Semprun fustigent les idéologues de la décroissance, les plus valeureux marxistes qui veulent croire que « l’autodestruction du capitalisme » laissera un « vide ». Ils raillent aussi Vaneigem, le Comité invisible, Latouche et d'autres. Ce qui leur permet de préciser leur position. Puis ils décortiquent « l’artifice de la propagande » qui prétend que « l’avenir de la planète est l’objet d’un choix conscient » : « vivre selon les directives des organisateurs du sauvetage de la planète, ou périr parce qu’on sera resté sourd à leurs mises en garde ». « La fabrique du consensus décore donc du nom de « prise de conscience écologique » l’effet de ses propres opérations, la docilité à répéter ses slogans, à se soumettre à ses injonctions et prescriptions. Elle célèbre la naissance du consommateur rééduqué, de l’éco-citoyen, etc. » Ils distinguent « les principales représentations catastrophismes de l’avenir diffusées par la propagande » :
- « L’école apocalyptique » qui « renforce l’acceptation par le sentiment d’un délai inespéré », « colore la très commune résignation d’un carpe diem de condamnés en sursis ».
- « L’école du réchauffement » qui rapporte de multiples périls et ravages à un facteur unique.
- « L’école de l’épuisement » qui compte sur un recours étatique, industriel et civique pour imposer un « changement de cap », une « société plus sobre ».
- « L’école de l’empoisonnement » qui fait déjà tourner un vaste secteur de la production marchande (aliments labellisés « bio » et parapharmacie).
- « L’école du chaos » qui met l’accent sur la dislocation sociale et « géopolitique » et soupire « après une « bonne vieille gouvernance » mondiale ».
« Le déchaînement de calamités sans nombre, avec leurs combinaisons imprévues et leurs accélérations brutales, ouvre un prodigieux chantier aux trusts planétaires du capitalisme. » La débâcle de la nature s’avère être une chance pour la raison économique puisqu’il va falloir « tout fabriquer de neuf, une vie artificielle entière, avec ses succédanés et ses palliatifs technologiques toujours plus coûteux, c’est-à-dire profitables à l’industrie ». « On connaît le rôle qu’ont chaque fois joué les guerres, au cours de l’histoire moderne, pour accélérer la fusion de l’économie et de l’État. Et c’est justement une guerre qu’il faut livrer, pour vaincre la nature détraquée par les opérations antérieures de la raison économique et la remplacer par un monde intégralement produit, mieux adapté à la vie dans l’aliénation. » Les « défenseurs de notre civilisation » sont à peu près d’accord sur la nécessité d’une « gouvernance renforcée face à la crise écologique totale », « réorganisation bureaucratique-écologique » qui laisse planer la menace d’ « écofascisme ». La « bureaucratie des experts », « par ses diagnostics et ses prospectives, formulés dans la novlangue du calcul rationnel », entretient l’illusion d’une maîtrise techno-scientifiques des « problèmes ». Les décideurs de l’économie la soutiennent, « voyant dans un désastre sans fin la perspective d’une relance permanente de la production par la poursuite de l’ « éco-compatibilité » », tout comme les « « gentils apparatchiks » des justes causes environnementales et humanitaires », armés d’un parfaite bonne conscience, « convaincus d’incarner l’intérêt supérieur de l’humanité, d’aller dans le sens de l’histoire », réclamant toujours plus de lois et de règlements. « Dans la voix de ceux qui répètent avec zèle les statistiques diffusées par la propagande catastrophiste, ce n’est pas la révolte qu’on entend, mais la soumission anticipée aux états d’exception, l’acceptation des disciplines à venir, l’adhésion à la puissance bureaucratique qui prétend, par la contrainte, assurer la survie collective. » Les idéologues de la décroissances relayent par leurs appels à l’autodiscipline, la propagande pour le « rationnement volontaire ». « Les « contraintes du présent » que se plaît à seriner le réalisme des experts sont exclusivement celles qu’imposent le maintien et la généralisation planétaire d’un mode de vie industriel condamné. »
René Riesel et Jaime Semprun sont convaincus que cette bureaucratisation ne « résoudra » rien, si ce n’est « avec une indéniable efficacité à étouffer par la propagande et l’embrigadement toute tentative d’affirmer une critique sociale qui serait à la fois anti-étatique et anti-industrielle », occultant la causes historiques réelles, exerçant un « chantage à l’urgence et à l’efficacité ». Ils n’oublient pas cependant que l’action de quelques individus, « avec un peu de chance, de rigueur, de volonté », peut avoir « des conséquences incalculables ».
Ce texte remarquable présente le mérite de formuler les bonnes questions, de mettre à nu les multiples contradictions des discours ambiants, de conduire son lecteur à la racine des « problèmes » et de l'obliger à ne pas se contenter de « solutions » illusoires. Soucieux des questions environnementales, on ne peut faire l’économie d’une telle lecture.
CATASTROPHISME, ADMINISTRATION DU DÉSASTRE ET SOUMISSION DURABLE
René Riesel et Jaime Semprun
138 pages – 10 euros
Éditions de l’Encyclopédie des nuisances – Paris – Juin 2008
De René Riesel :
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