Lucio Urtubia Jiménez, disparu cet été, raconte sa très romanesque vie, depuis son enfance en Navarre, ses premières « expropriations » et son exil en France, les braquage de banque pour soutenir la lutte contre le fascisme et l’incroyable arnaque aux chèques de voyage qui mit à genoux la First National City Bank.
Amaia, étudiante en histoire à qui il a accepté de se confier, l’accompagne de Paris, où il vit et anime le centre social Louise Michel, jusqu’à Cascante, le village où il a grandi. Ce long voyage est l’occasion de revenir sur son parcours. Plutôt que militant anarchiste, il se considère comme compagnon de route, n’ayant jamais adhéré à aucune organisation, et se définit avant tout comme maçon car « on est ce qu’on est par ce qu’on fait ». Il assume entièrement son activisme, motivé par sa rencontre déterminante avec le guérillero Quico Sabaté qu’il hébergea quelque temps : « Un révolutionnaire qui ne fait rien finit par ressembler à un curé. » C’est en arrivant à Paris, où il est contraint de se réfugier en 1954, « fier d’être un authentique déserteur de l’armée de Franco », qu’il découvre ces mouvements. Il raconte à Amaia ses trafics de faux-papiers, ses premiers braquages : « Voler, pour moi, si on avait faim, ce n’était pas voler. Je ne piquais pratiquement que des biens destinés aux bourgeois, avant qu’ils nous les revendent beaucoup plus cher. Je sautais ces étapes et me servais directement dès que je pouvais. » Son exploit le plus retentissant reste bien entendu ses falsifications de milliers de chèques de voyage, encaissés pour financer des mouvements luttant contre le pouvoir et le capitalisme à travers le monde, qui poussèrent au bord de la faillite la City Bank, au point qu’ayant perdu des millions, celle-ci lui proposa de retirer sa plainte en échange des planches et du matériel de reproduction.
S’il prend visiblement plaisir à se livrer, il conserve toutefois une grande humilité : « Ma pauvreté a été ma richesse, tu comprends ? Si j’avais été le fils d’un patron, aujourd’hui je serais un crétin comme beaucoup d’autres. »
Le dessin, très réaliste, convient parfaitement à la nature de ce récit, à la fois intime et factuel. À noter, le beau travail de mise en couleurs, notamment dans le rendu des éclairages nocturnes et surtout des lumières tamisées dans les scènes de sous-bois. L’alternance entre dialogues, toujours parfaitement crédibles, jamais artificiels, et les séquences souvenirs, fonctionne parfaitement. Mikel Santos « Belatz » a aussi pris le risque de s’échapper souvent du déroulement chronologique, ce qui permet de donner plus de souplesse à sa narration et aussi d’aborder fort discrètement la notion de poids mémoriel dans la transmission entre les générations, par l’intermédiaire de l’oncle d’Amaia, personnage obscur, dont l’histoire nous sera révélée par bribes.
Très belle mise en image de la vie passionnante (et exemplaire ?) de Lucio Urtubia. Mikel Santos « Belatz » a réussi à restituer son attachement, en évitant l’hagiographie.
LE TRÈSOR DE LUCIO
Mikel Santos « Belatz »
Traduit de l’espagnol par Alexjandra Carrasco Rahal
128 pages – 19 euros
Éditions Rackham – Tarnac – Septembre 2020
www.editions-rackham.com
Publié initialement en 2019 par Editorial Txalaparta.
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