À sa sortie de prison, Laurent Lavalette, dit La Fleur, est embauché dans la scierie de monsieur d’Essartaut, ancien chef du maquis qui vit dans la montagne avec ses deux filles. Il propose « une chance de renouvellement moral à ceux qui sortent de purger leur peine ».
Un petit groupe gravite autour de lui et Laurent comprend rapidement que des activités clandestines les occupent, d’autant qu’ils lui proposent d’y prendre part : « Il faut porter le fer rouge ! » « Justice et pureté peuvent souvent s’exclure. […] Il faut parfois permettre aux hommes de faire de grandes fautes contre eux-mêmes pour éviter un plus grand mal, les servitudes. » Pour eux la guerre n’est pas terminée. Ils organisent en effet des expéditions punitives contre les profiteurs, les anciens collabos, les juges toujours en poste et les enrichis du marché noir, convaincus de faire « œuvres de salut public » : « Si nous avons lutté les armes à la main contre ceux qui nous paraissaient néfastes, pourquoi vouloir céder maintenant au dégoût de la paix confisquée ? » Laurent est troublé par ces méthodes, même s’il accepte d’y participer, et se demande « un moment en quoi cette doctrine différait du fascisme contre lequel » ils avaient combattu. Il interroge, cherche à comprendre. Nombre de discussions morales permettent d’approfondir la question, si elles n’apportent pas de réponse définitive. « La guerre fait une effroyable consommation d’innocents. […] Nous avons hélas dix cas semblables où nous avons dû tuer l'inconnu qui passait, le convoyeur anonyme, le permissionnaire qui prenait le mauvais train, la sentinelle qui respectait les consignes, et ceux-là mêmes enfin qui nous faisaient la guerre, pour des raisons qu'on leur avait appris à trouver justes. » « Mais pas un, je vous le jure, ne pensait à la liberté, ce mot de parvenu ! S'ils ont combattu en volontaire, c'est par dignité, pour ne pas avoir à rougir dans une victoire qui ne serait pas la leur ! Ils n'aimaient pas ce qu'on leur faisait faire. »
Si la trame du récit est bien centrée sur l’action, jusqu’au drame final, ces questionnements ne cessent de la traverser.
Avec ce roman, écrit « à chaud », en 1947, Jean Meckert donne une vision sans fard de l’épuration et plus largement, interroge la légitimité de l’action directe et ses limites. Comme Laurent, il semble ne pas se satisfaire des déclarations sentencieuses.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
NOUS AVONS LES MAINS ROUGES
Jean Meckert
Présenté par Stéfanie Delestré et Hervé Delouche
312 pages – 15 euros
Éditions Joëlle Losfeld – Collection « Arcanes » – Paris – Janvier 2020
www.gallimard.fr/catalogue/nous-avons-les-mains-rouges/9782072870477
Première parution en 1947
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