7 septembre 2025

LES CATHARES, ENNEMIS DE L’INTÉRIEUR

L’historien médiéviste Arnaud Fossier montre que les hérétiques les plus célèbres du Moyen Âge ne nous sont connus que par les témoignages de leurs persécuteurs, qui révèlent surtout une construction savante mise au service de la propagande pontificale et d’une croisade contre ces ennemis de l’intérieur. À travers les mythes, falsifications et récupérations, il rend justice à ces hommes et ces femmes poursuivis parce qu’ils se sont dressés contre une Église corrompue.


Les fameux « châteaux cathares » ont en réalité été construits dans les années 1230-1250, à l’initiative du roi de France, pour écraser la dissidence et surveiller la frontière avec le royaume d’Aragon. Associés au Languedoc, où ils apparaissent dans les années 1160, on les retrouve aussi en Flandre, en Rhénanie et dans la péninsule italienne et ne compteront que quelques milliers d'hommes et de femmes, provenant de la chevalerie rurale déclassée ou des couches urbaines en conflit avec la hiérarchie éclésiastique, animée par une opposition politique au pouvoir de celle-ci, par anticléricalisme, plutôt que par une doctrine religieuse clairement établie.

Les hérésies « populaires » apparaissent dans la première moitié du XIIe siècle et sont le fruit de la réforme « grégorienne », menée entre 1050 et 1120, accomplissant un retour à la « forme primitive » de l'église, celle des Évangiles et des premiers temps chrétiens, mais avec des effets inverses, car elle suscite une contestation (notamment de l’accaparement de la dîme par le clergé).

En mars 1208, le pape Innocent III déclenche une croisade contre les « Albigeois » qui durera jusqu'en 1229, renforçant les réseaux cathares au lieu de les détruire. Deux ans plus tard, il crée l'inquisition, tribunal itinérant et indépendant dirigé par les nouveaux ordres mendiants, Franciscains et Dominicains. Cependant, plus que la répression, c’est la faculté de ceux-ci à « récupérer » les anciens dissidents et leurs descendants en les intégrant à leur couvents qui mettra fin au catharisme.

L’auteur énumère rapidement les « mythologies » qui se sont succédées jusqu’à aujourd’hui, autour du catharisme et les efforts pour le préserver des « outrages » de l’analyse historique, afin de continuer à profiter de la manne touristique. Le traitement des sources a effectivement longtemps été « trop cavalier », pour soutenir, à tort, la vision d’ « une religion cohérente, aux rituels et aux croyances propres, avec son clergé de “parfaits“ et son corps de doctrine unifié ». Il n’existe aucun livre de théologie cathare, ni trace de leur existence. De plus, ils sont toujours nommés et décrits « depuis la langue du pouvoir », alors qu’eux se désignaient, dans le Languedoc, comme des « bons hommes » ou « bonnes femmes », sans aucune connotation religieuse. L'histoire des vaudois, des lollards, des hussites, des patarins ou des Cathares italiens n'est jamais évoquée, alors que la genèse et la formation de ces groupes ne peut s’expliquer que dans une large histoire de la dissidence en Occident. « L’hérèsie n'était pas une “identité religieuse“ à laquelle un certain nombre de personnes aurait consciemment adhéré, mais une accusation dirigée contre certain·es. »

Arnaud Fossier revient également sur différentes hypothèses à propos de l’origine – orientale principalement – du catharisme, notamment l’accusation récurrente d’une filiation avec la religion manichéenne venue des Balkans, et insiste sur « les causes endogènes à la Chrétienté latine ». Ainsi, par exemple, des artisans du textile actifs à Milan dans les années 1050 commencent à critiquer les prêtres simoniaques et concubinaires. Ils seront désignés comme « patarins » lors du concile de Latran III, en 1179. Il démontre le peu de fiabilité des traités conservés ainsi que leur incapacité à établir une doctrine cohérente des hérétiques. En effet, leurs « idées » ont essentiellement une portée pratique et il soutient que les discours des clercs sur ceux-ci, leur ont surtout permis de redéfinir l’Église elle-même : « En dénonçant les hérétiques, l'institution ecclésiale affirmait avec force l'orthodoxie et défendait sa nécessaire participation à la société. » Il note que la montée de l’intolérance aux XIIe et XIIIe siècles est concomitante du développement du droit savant, pour qui l’hérésie va servir de terrain d’expérimentation. Si l’art de la polémique a été utilisé dans des débats publics pour la combattre, très vite, à la fin du XIIe siècle, la répression s’accroit, avec la judiciarisation puis, en 1208, la croisade des Albigeois, racontée avec force détails, tout comme le rôle de l’Inquisition, qui procédait sur la seule base de rumeurs et de dénonciations, n’accordant aucun défenseur aux accusé·es et pratiquant la torture. « Confiée aux ordres mendiants ne dépendant que de Rome et dont la mobilité conférait au nouveau tribunal une forme d'extraterritorialité, l'Inquisition était la manifestation parfaite de l'autorité absolue du pape en matière de foi et de l'universalité de son magistère. » Les registres d’enquêtes conduites par Pierre Celan à Montauban, entre 1241 et 1242, concernant 671 « aveux », et par Jean de Saint-Pierre et Bernard de Caux à Toulouse, entre 1245 et 1246, citant 5 500 personnes, sont étudiés. Il en ressort que « le tribunal transforme en fautes répréhensibles des manifestations ordinaires de sociabilité qui n'implique aucune adhésion religieuse (échange de saluts, de paroles, don de quelques produits comestibles) – ce qui montre au passage à quel point le social et le religieux étaient consubstantiels. »

Bernard de Castanet, évêque et seigneur d’Albi depuis 1276, par exemple, a installé « une véritable théocratie » qui suscite défiance et opposition. Il s’associe à l’Inquisition pour enquêter et poursuivre les bourgeois de la ville, lesquels s’allient à ceux de Carcassonne derrière le franciscain Bernard Délicieux.

Un chapitre est également consacré au cas de Montaillou, rendu célèbre par le best-seller d’Emmanuel Le Roy Ladurie, dont Arnaud Fossier conteste le sérieux, reprochant à son auteur de prendre les sources de l’Inquisition pour des témoignages authentiques et une parole libre.

Cependant, plus que la répression, ce sera l’attention portée aux bourgeois des villes méridionales qui épuisera les dissidences. Les Franciscains, par exemple, offrirent une alternative crédible au clergé cupide et corrompu. Les ordres mendiants intégrèrent les fils de la bourgeoisie auxquels l'accès aux dignités ecclésiastiques était jusqu'alors refusé, réservé aux membres de l’aristocratie.


Excellente synthèse – parfaitement accessible – de l’histoire des hérésies en Occident au Moyen-âge. Parfait exemple de la création artificielle d’un ennemi de l’intérieur pour légitimer la répression.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



LES CATHARES, ENNEMIS DE L’INTÉRIEUR

Arnaud Fossier

230 pages – 15 euros

La Fabrique éditions– Paris – Septembre 2025

lafabrique.fr/les-cathares-ennemis-de-linterieur/



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