La richesse des trois personnes les plus riches du
monde correspond au P.I.B. des 48 pays les plus pauvres. Comment en est-on
arrivé là ?
Philippe Squarzoni raconte, avec cette bande dessinée, sa prise de conscience politique
personnelle.
En 2002, Jacques Chirac est élu avec 80% des voies,
face à Jean-Marie Le Pen arrivé au second tour des élections présidentielles.
Pourtant, Jean-Pierre Raffarin, son premier ministre va mener une politique de
droite décomplexée : baisse des impôts qui profite essentiellement aux
plus aisés en augmentant leur épargne (50% des contribuables ne sont pas
imposables car leurs revenus sont trop faibles), limitation de l’accès à la
C.M.U., des indemnisations chômage (pour la septième fois en 20 ans ! ),…
« Comment peut-il manquer aujourd’hui de
l’argent pour maintenir et prolonger les conquêtes sociales issues du Conseil
National de la Résistance alors que la production de richesse a
considérablement augmenté depuis la libération, période à laquelle l’Europe
était ruinée ? » Raymond Aubrac.
Comment en est-on arrivé là ? Philippe
Squarzoni cherche à comprendre. Il lit, se documente, interroge des
économistes, des chercheurs et il raconte.
Dans les années 30, trois tendances inquiètent le
capitalisme qui craint sa remise en cause : la décolonisation, la montée
des luttes sociale et la révolution de 1917. Il y a alors un pacte social tacite
: une organisation du travail militarisé contre une certaine répartition des
richesses avec la socialisation du salaire indirect : protections contre
le chômage, la vieillesse et la maladie. Les politiques économiques recherchent
le plein emploi. L’inflation fait fonctionner le compromis social, avec l’aide du
contrôle monétaire de l’État.
Puis en 1979, a lieu un coup d’état économique. La
priorité n’est plus le plein emploi mais la lutte contre l’inflation. Il s’agit
de revaloriser les profits. C’est la fin du compromis social. Reagan et
Thatcher seront les principaux artisans de cette politique. Parallèlement
s’opère un passage du capitalisme industriel à un capitalisme financier.
Désormais les revenus des actionnaires sont nourris par les prélèvements sur
les travailleurs.
En 1989, avec la chute du mur, on passe d’une phase
de reconquête à une phase de revanche. On assiste à une véritable politique de
casse. Il s’agit de tout privatiser : l’éducation, la santé, la retraite,…
C’est un projet de marchandisation total. La méthode sera toujours la
même : créer du déficit pour imposer des reformes déclarées inévitables.
L’argument imparable pour justifier la réforme des
retraites par répartition est que les français vivent plus vieux. Or, si en
1960, il y avait effectivement 4 actifs pour 1 retraité et en 2000 seulement 2
pour 1, ces 2 actifs produisent aujourd’hui 1,5 fois plus que les 4
d’hier ! Et d’ici à 2020, 1 actif produira plus que ces 2 là.
Au programme, allongement de la durée de cotisation,
baisse des pensions et création de fonds de pension. Il faudra « réformer »
régulièrement mais l’objectif réel visé n’est pas du tout la sauvegarde du
système de retraite par répartition mais bien la mise en place de sa
privatisation… enfin, pour ceux qui pourront encore y avoir accès.
8 points de valeur ajoutée ont été pris sur les
salaires alors qu’ils pouvaient servir à financer les retraites et ont été
distribués en dividendes aux actionnaires. Une augmentation de 0,37% des
cotisations patronales pouvait pérenniser le système. Rôle de la presse, des
syndicats, marges de manœuvres réelles, autres solutions… sont rigoureusement
évoqués.
Pour la Sécurité Sociale, la méthode et les
objectifs sont les mêmes. On crée un déficit pour imposer des réformes
« inévitables ». Le « trou de la sécu » est plus un
instrument de pression qu’un problème. Au lieu d’augmenter les cotisations
quand les dépenses ont augmenté, on limite les remboursements, c’est-à-dire
qu’on réduite les dépenses de santé.
La même recette est appliquée à l’assurance chômage :
pour réduire le « déficit », on réduit l’accès aux indemnisations.
L’éducation nationale est elle aussi attaquée. Il
s’agit de passer d’un projet d’émancipation collective par la culture à un
service individualisé pour l’insertion sur le marché du travail.
Ce gigantesque transfert des richesses est
nécessairement accompagné d’une politique répressive. L’augmentation organisée
de la précarité entraine une augmentation de la petite délinquance. Les
politiques masquent leur perte de légitimité sur les problèmes sociaux en jouant sur le « sentiment
d’insécurité » et compensent par une politique ultra-sécuritaire. Le
coupable c’est le pauvre ! C’est au système pénal de gérer la misère,
comme au États-Unis.
L’emprisonnement ne résout pas le problème de la
délinquance si l’on n’agit pas sur les conditions économiques et sociales, au
contraire. 65% des personnes condamnées à des peines de prison y retourneront
alors que seulement 11% de celles qui ont bénéficié d’un sursis récidiveront.
Avec Sarkozy de Nagy-Bosca, on entre dans la lutte
médiatique contre l’insécurité.
L’avènement de ce clown politique est décrypté
méticuleusement ainsi que la complicité passive des médias.
Impossible de rendre compte de tout tant cet ouvrage
est riche, dense et documenté. La démonstration est édifiante, nourrie de
chiffres et d’exemples précis, sans saturer pour autant le propos.
Des solutions alternatives viables sont aussi évoquées,
discutées, argumentées.
L’illustration — rappelons qu’il s’agit bien d’une
bande dessinée — peut paraître austère
au premier abord mais elle est souvent maline. Beaucoup de trouvailles
pertinentes viennent renforcer la démonstration, comme ces multiples références
cinématographiques : Charlot, Les Raisins de la colère, Matrix… ,
utilisées en contre-point.
Un ouvrage absolument indispensable et dont la
puissance synthétique nourrira bien des réflexions et des débats.
DOL
De Philippe Squarzoni.
306 pages – 19,99 euros
Éditions Delcourt – Paris – 2012
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