À Océania, 85% de la population est composée de prolétaires, exploités, vivants dans des conditions indignes, tout comme avant la « révolution », semble-t-il, mais tout le monde l’a oublié. Les membres du Parti intérieur forment la classe privilégiée et sont les seuls à ne manquer de rien. Ceux du Parti extérieur sont occupés à faire fonctionner l’appareil de contrôle, à organiser les Plans Triennaux, à gérer les pénuries. Ils sont soumis à une propagande omniprésente et à une surveillance permanente. Le portrait de Big Brother orne le moindre mur, les « télécrans » sont installés absolument partout. Ils transmettent en continu discours et informations, sans que le son de l’appareil puisse être coupé ou même rendu seulement inaudible. Simultanément, ils permettent à tout moment à la Police de la Pensée d’entendre tous les sons émis au-dessus d’un chuchotement très bas et de percevoir tout mouvement dans leur champ de vision, sauf dans l’obscurité.
La pauvreté et l’ignorance servent de base à cette société hiérarchisée.
L’appareil gouvernemental est partagé entre quatre ministères. Le ministère de la Vérité s’occupe des divertissements, de l’information, de l’éducation et des beaux-arts. Le ministère de la Paix s’occupe de la guerre. Le ministère de l’Amour veille au respect de la loi et de l’ordre. Le ministère de l’Abondance est responsable des affaires économiques.
Le novlangue est l’idiome officiel d’Océania. En réduisant drastiquement le vocabulaire, il restreint les limites de la pensée, rendant complètement impossible le « crime par la pensée ».
Le Parti impose une gymnastique de l'esprit permanente ses membres (appelée « doublepensée » en novlangue) : il faut assimiler tous les faits que le Parti leur jette, et surtout oublier qu'il en a été autrement. Et de plus, il faut oublier le fait d'avoir oublié. La logique est aussi utilisée pour restructurer la pensée et garantir l’infaillibilité du Parti, comme dans les devises :
« La guerre, c'est la paix. »
« La liberté, c'est l’esclavage. »
L'ignorance, c'est la force. »
Il s’agit de pouvoir faire admettre, sans sourciller, tous les paradoxes, jusqu’à 2+2=5.
Le passé est sans cesse ré-écrit car qui contrôle le passé contrôle l’avenir et qui contrôle le présent contrôle le passé. Il faut également oublier que celui-ci a été modifié.
Pendant les Deux Minutes de la Haine, étouffement délibéré de la conscience par le rythme, les foules rentrent dans une transe collective qui inhibe toute volonté personnelle. Orwell a parfaitement compris comment fonctionnaient ces actes d’hypnose collective.
La guerre est utilisée comme catalyseur de ces séances de défoulement, tout comme la dénonciation du réseau de résistants.
Avec son personnage principal, Winston Smith, nous découvrons la vie quotidienne d’Océania. Et comme, derrière l’expression de tranquille optimisme qu’il affiche tout le temps, il dissimule un regard critique, c’est une analyse précise, historique, institutionnelle et sociologique, qu’il nous livre en de longs développements et pas seulement de façon suggestive. Elle sera complété par les chapitres du manifeste de l’opposant Emmanuel Goldstein, « Théorie et pratique du collectivisme oligarchique » dont il fera une longue lecture. Mais ce roman n’est pas seulement un prétexte à dénoncer les régimes totalitaires et leur mécanisme, puisqu’une véritable intrique est développée. Et nous n’en déflorerons rien si ce n’est que faire l’amour devient le seul acte de résistance envisageable. La chasteté est en effet utilisée pour détourner l’énergie sexuelle en dévotion pour les dirigeants et en fièvre guerrière. L’orthodoxie politique c’est de l’instinct sexuel aigri. De même l’instinct familiale est détourné pour abolir la famille et transformer les enfants en extension de la Police de la Pensée.
La rhétorique stalinienne et la répression organisée par les agents de Moscou dans les rues de Barcelone lors de son engagement dans les rangs du POUM, l’ont profondément choqué, lui qui fut un militant sincère. Il s’en inspire ici tout comme de ce que l’on savait alors des méthodes de manipulation des foules utilisées par les nazis.
Ce roman fait partie de ces classiques que tout le monde « connait » sans forcément les avoir lus, pourtant il le mérite, ne serait que pour sa démonstration que le pouvoir n’est pas un moyen mais bien une fin en soi.
1984
George Orwell
Traduit de l’anglais par Amélie Audiberti
548 pages – 8,80 euros
Éditions Gallimard - Collection Folio – Paris – Novembre 1972
Première parution : Nineteen Eighty-Four
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