La transcription de son procès, suite à son implication dans la Commune de Paris, donne le ton. Non seulement elle refuse de se défendre, acceptant l’entière responsabilité de ses actes, se déclarant « complice de la Commune » puisque la révolution sociale que celle-ci voulait instaurer, est le plus cher de ses voeux, mais elle réclame sa part de plomb, comme « tout coeur qui bat pour la liberté » : « Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance. » « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi… » (Décembre 1971)
Vingt-six ans plus tard, annonçant les célébrations de la Semaine sanglante, par la montée au mur des Fédérés, elle exprime les regrets de n’avoir pas marché sur Versailles et renoncé à tout pouvoir, à « cette idée funeste de légaliser la révolution » :
« Pour être heureux vraiment,
Faut plus d’gouvernement ! » (Mai 1897)
Dans son récit La Commune, publié en 1898, elle revient sur la proclamation de celle-ci, le 28 mars 1871, et la responsabilité de son échec : « C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste. »
Elle s’oppose à l’injonction d’oubli accompagnant la loi d’amnistie en affichant une détermination vivace : « Je suis partie enthousiaste, je reviens froide, calme. Nous étions généreux, nous ne le serons plus. Vous nous avez arraché le coeur, tant mieux. Nous serons implacables ! » « Nous ne voulons plus que les mères deviennent folles de douleur ; nous ne voulons plus que les enfants meurent, et quand viendra l’heure, je vous demanderai de frapper la première ! Vive la révolution sociale ! » (conférence du 2 novembre 1880)
Elle expose largement ses idées autant lors de ses interventions que dans ses articles : « Nous unir tous, prolétaires, bohèmes, déshérités, parias de la vie, et dans une étroite solidarité d’intérêt, déclarer une guerre implacable au capital infâme ; nous montrer sans pitié dans la lutte contre les accapareurs, les ruffians, les banquistes ; ne sont-ils pas sans entrailles et nous traitent-ils autrement que des forçats et des bêtes de somme ? » « Prenons donc pour mot d’ordre et pour point de ralliement la haine du capital, le mépris du pouvoir. » (avril 1889)
« Mais oui, sans doute, l’anarchie est la vie sociale.
Une humanité composée d’hommes ne connaissant que le droit de tous en place de la force produirait au centuple. Jamais, dit Michelet, on ne laboura la terre comme après qu’on l’eût arrachée aux mains des seigneurs. »
« L’anarchie, c’est l’harmonie dans les groupes humains, accomplissant tous les travaux par attraction et non par force. »
« L’anarchie n’est pas le chaos où nous sommes ; elle brise les lois factices établies par la force et démolit les bastilles sans en ramasser les pierres pour en élever d’autres. »
« Dans cette nuit transitoire où râle le vieux monde, le pouvoir se frappe lui-même au coeur, comme le scorpion cerné par la flamme ; il meurt de ses propres turpitudes. » (mai 1890)
« Tout est bagne sur la terre, tout est prison. La mine, la caserne, l’atelier sont des bagnes pires, quelquefois, que ceux dans lesquels sont envoyés ceux que d’autres hommes se permettent de déclarer coupables. » (décembre 1895)
Elle défend la grève générale qui serait « la prise de possession du monde par les travailleurs », contre la grève partielle qui « a toujours été un suicide ». (Mai 1889) et ne cesse de croire à la « tempête » d’une révolution mondiale inexorable que ne saurait étouffer la répression. Jusque dans ses actes, elle prend fait et cause pour les femmes : « Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine. En attendant, la femme est toujours, comme le disait le vieux Molière, le potage de l’homme. » Elle réclame l’émancipation par « la science et la liberté » de celles qui sont « élevées dans la niaiserie », « désarmées tout exprès pour être mieux trompées » et les considère « en état de légitime défense », « en droit de tuer leur bourreau ». Cette radicalité est constante, colère sans cesse alimentée par l’injustice. Ainsi après le massacre de Fourmies, le 10 mai 1891, elle déclare que « l’heure de la vengeance a sonné » :
« Oui, chacals, nous irons vous chercher dans vos palais ; ces antres de tous les crimes et nos poignards justiciers sauront trouver vos coeurs féroces. » « Hommes sans conscience, l’humanité entière jette son cri de désespoir. C’est pourquoi votre glas de mort va sonner ! C’est pourquoi l’arène est pleine de milliers de lutteurs ; ils y sont descendus frappés au coeur, par les imprécations de vos victimes, d’une main ils tiennent la justice, de l’autre la vengeance. »
Beaucoup de ces déclarations sont issues de rapports de police inédits, transcription de conférences :
« S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. On ne peut pas admettre qu’il y ait encore des gens qui crèvent la faim quand d’autres ont des millions à dépenser en turpitudes. C’est cette pensée qui me révolte ! »
« Les anarchistes sont généralement traités d’utopistes. Nous ne sommes pas des utopistes. N’oubliez pas que l’utopie est la réalité de demain. »
« Nous rêvons au bonheur universel, nous voulons l’humanité libre et fière, sans entrave, sans castes, sans frontières, sans religions, sans gouvernements, sans institutions. »
Chacun de ces documents est rapidement contextualisé et en annexe, quelques textes, de Victor Hugo, Jules Vallès, Paul Verlaine, entre autres, complètent ce « portrait » de Louise Michel par elle-même.
Cette anthologie s’adresse autant à ceux qui désirent découvrir une oeuvre et une figure, qu’à ceux qui en sont familiers et que les textes inédits raviront. Magnifique travail d’édition !
À MES FRÈRES
Anthologies de textes poétiques et politiques
Louise Michel
Édition établie par Éric Fournier
176 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Montreuil – Août 2019
http://www.editionslibertalia.com/
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