27 avril 2020

BOLO‘BOLO

Publié en 1983 en allemand par l’anonymus P.M., « Bolo‘bolo est une modeste proposition pour un nouvel arrangement de notre vaisseau spatial après la disparition de la Machine-travail planétaire ». Cette « utopie réalisable » peut transformer la terre en un vaste bolo en cinq ans « si nous commençons maintenant ». Comme il l’explique dans sa préface à l’édition de 1997 : « Plus nous aurons une idée claire de ce que nous voulons, moins nous aurons peur du chaos du « lendemain », et plus nous nous sentirons encouragés à la résistance constructive. »

Afin de pouvoir tirer des leçons de nos erreurs, il nous gratifie tout d’abord d’un nécessaire rappel historique dont nous n’en rapporterons ici que quelques significatifs extraits afin qu’en soit saisi la nature et le ton : « L’Âge de pierre a dû être un bon deal si l’on en croit les dernières découvertes anthropologiques. C’est la raison pour laquelle nous nous y sommes complus pendant plusieurs dizaines de milliers d’années, une période longue et heureuse, comparée aux 200 dernières années de notre cauchemar industriel. À un certain moment quelqu’un a dû se mettre à s’amuser avec des graines et des plantes : il a inventé l’agriculture. Cela semblait une bonne idée, car nous n’avions plus à nous promener trop loin pour trouver les fruits à cueillir. Mais la vie a commencé à être plus compliquée et plus pénible. Il fallait rester au même endroit pendant de longs mois et il fallait garder la semence pour la récolte suivante ; il fallait planifier et organiser le travail aux champs. Les terres et les récoltes devaient être protégées contre nos cousins nomades qui cueillaient et chassaient en continuant à penser que tout appartenait à tout le monde. » « Avec l’apparition des premières civilisations en Mésopotamie, en Inde, en Chine et en Égypte, l’équilibre entre l’homme et les ressources naturelles a été définitivement ruiné. (…) Au lieu de deux heures de travail par jour, nous avons travaillé dix heures et davantage aux champs et sur les chantiers des Pharaons et des Césars. Nous sommes morts dans leurs guerres et avons été déportés comme esclaves là où ils avaient besoin de nous. » Puis, au nom du « progrès » qui signifie « travailler davantage et dans des conditions plus meurtrières », « toute la société et toute la planète furent transformées en une énorme machine de travail », qu’il nomme la Machine-Travail-Planétaire » (MTP)  : « elle mange en Afrique, elle digère en Asie et elle chie en Europe ». Elle utilise ses contradictions pour étendre son contrôle, selon trois fonctions : l’information, la production et la reproduction, que trois catégories de salariés remplissent, divisés par des niveaux salariaux, des privilèges et des statuts sociaux différents : les travailleurs technico-intellectuels, les travailleurs industriels, les travailleurs occasionnels. Ceux-ci sont globalement répartis sur trois zones géographiques : les pays industrialisés, les pays socialistes* et ceux en voie d’industrialisation rapide, les pays du Tiers-Monde. La Machine propose des deal catégoriels et individuels pour se protéger des réformes et des révolutions par l’inertie :

  • Les biens de consommation qui sont un deal empoisonné car la société d’abondance est un « maquillage parfait » qui dissimule une nouvelle forme de misère faite de solitude et de passivité.
  • La sécurité trompeuse apportée par l’État, des emplois garantis à la sécurité sociale dont on trouve la forme la plus pure dans les pays socialistes.
  • La violence directe qui laisse toutefois « quelques bribes de la vieille liberté des chasseurs ou cueilleurs de baies » et une forme minimale de sécurité sociale au sein de la famille, du clan ou du village.
« La dynamique principale de la Machine est le mécontentement réciproque et la logique du moindre mal. » Les politiques réformistes ne changent rien. La Gauche au pouvoir « s’embrouille dans la jungle des « réalités » et des nécessités économiques et n’a plus d’autres choix que de renforcer les mêmes programmes d’austérité qu’elle attaquait quand la Droite gouvernait ». La MTP ne peut pas être arrêtée par la politique et elle est parfaitement équipée contre les « kamikazes politiques » (RAF, Brigades Rouges, etc).

Avec Bolo’Bolo, P.M. propose de réfléchir et d’agir globalement et localement, à l’aide d’une sorte de langage commun, de subvertir la Machine, de la bloquer de l’intérieur, en établissant Bolo’Bolo dans les interstices libérés. La substruction est la combinaison de la subversion et de la construction. Elle peut suivre trois tactiques, et doit les cumuler pour atteindre une situation critique : la dysinformation et la dysproduction par le sabotage, la dysurption par des émeutes. Pour s’en prémunir, la Machine échelonne ses attaques des trois secteurs, afin qu’ils ne se soutiennent pas mutuellement.

L’organisation est ensuite présentée sous forme d’un lexique présentant les principales notions. Chaque BOLO est composé de 300 à 500 IBUs. Il est autosuffisant en ce qui concerne la nourriture quotidienne de base et peut garantir l’hospitalité à 30 ou 50 invités ou voyageurs. Les BOLO échangent entre eux de façon volontaire. Chaque IBU reçoit un TAKU, sorte de malle standard dans laquelle il place tout ce qui est sa propriété exclusive. Tout ce qui est en dehors est utilisé en commun. Chaque BOLO est subdivisée en environ 20 KANAs, constitués par 20 à 30 IBUs qui occupent une grande maison ou un hameau. Au-delà des arrangements pratiques au sein d’une unité de voisinage, le MINA, ensemble de convictions culturelles, pousse les IBUs à se réunir en BOLO. « La diversité des identités culturelles détruit la culture de masse, les modes commercialisées de même que les langues nationales standardisées. Comme il n’y a pas de système scolaire centralisé, chaque BOLO parle sa propre langue ou dialecte. Il s’agit là de langues anciennes, d’argots ou de langues artificielles. Ainsi les langues officielles et leur fonction de contrôle et de domination déclinent et on se trouve en face d’une sorte de chaos babylonien, c’est-à-dire l’ingouvernabilité par la dysinformation. »
Le KODU est la base agricole de l’auto-suffisance du BOLO. Chaque IBU est un paysan, abolissant la séparation entre producteurs et consommateurs dans le domaine de la production de nourriture. Les villes de plus de 200 000 habitants ont été dépeuplées et des villages désertés ont été repeuplés. Beaucoup de locaux sont utilisés de manière commune. Il y a par exemple des « restaurants » gratuits dans chaque pâté de maisons. La production et la fourniture de l’énergie (PALI), la distribution et la consommation de l’eau (SUFU), sont également évoqués.
10 à 20 BOLOs forment un TEGA, auto-administré et auto-gouverné à l’échelle locale par une assemblée d’arrondissement (DALA) à laquelle participent des délégués (DUDIs) envoyés par d’autres assemblées. « Toute société court le risque de revenir à l’État, au pouvoir et à la politique. La meilleure barrière contre ces tendances est l’auto-suffisance des BOLOs. » Car « il n’y a pas de système plus démocratique que celui qui garantit l’indépendance matérielle et existentielle de ses membres. » 10 à 20 TEGAs forment un FUDO, pour organiser certaines tâches. La plus grande unité pratique de la vie quotidienne est le SUMI, région autonome réunissant 20 ou 30 FUDOs. « Il n’y a pas de frontières fixes car elles furent à l’origine des conflits inutiles et des guerres. » Il y a environ 750 SUMIs dans le monde, et, par exemple, une centaine en Europe (au sens géographique).
La forme la plus commune et la plus répandue d’échange entre les IBUs ou les différentes communautés est le don, le BUNI. Des accords des troc (FENOs) complètent l’auto-suffisance, réduisent le travail, évitent les sur-productions comme les sous-productions. Des marchés locaux (SADIs) complètent les possibilités d’échange. Les transports de biens de masse, les mouvement pendulaires et le tourisme sont extrêmement réduits et le système de transports (FASI) s’est adapté : vélo dans les limites du FUDO. La plupart des routes ont été rétrécies à une seule voie et les trains s’arrêtent à chaque stations.

Lecture parfaitement appropriée en cette période où fusent plus que jamais les questionnements à propos du monde de demain. Catalogue de propositions qui font système et peuvent servir de base de réflexion.

* Rappel : ce texte date de 1983.


 

BOLO‘BOLO
P. M.
242 pages – 8 euros
Éditions de L’Éclat –  Collection poche – Paris – Janvier 2020
1983 pour le texte original
www.lyber-eclat.net







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