27 octobre 2022

WILLY RONIS EN REPORTAGE À SAINT-ETIENNE

En octobre 1948, Willy Ronis (1910-2009) est envoyé par Life à Saint-Etienne pour couvrir la grève des mineurs, alors que va être enterré Antoine Barbier, abattu par la police. Présentant et analysant les 130 clichés réalisés à cette occasion, mais aussi les notes de son journal de bord, Jean-Claude Monneret et Jean-Michel Steiner explorent la singularité et l’esthétique du photographe, cherchent à saisir sa « méthode butineuse » qui s’inscrit à la fois dans le registre de l'histoire politique, de la géographie humaine et de la sociologie urbaine.
Depuis le 4 octobre, Saint-Etienne est l'épicentre d'un conflit national : 22 000 mineurs sont en grève illimitée. Le 17, le gouvernement refusant toute négociation, la CGT décide de suspendre les services de sécurité autour des puits occupés, provoquant dès le lendemain l'intervention brutale des forces de l’ordre. La grève se prolongera plus d'un mois et le 29 novembre les mineurs reprirent le travail sans savoir rien obtenu. Quatre morts, des centaines de blessés, des milliers de condamnation, parfois à la prison ferme, des milliers de révocations, des milliers de familles chassées de leur logement. « La sensation d'occupation fut renforcée dans le bassin stéphanois par le fait que les effectifs des forces de l'ordre était bien plus importants en 1948 que ne l'avait été ceux de l'armée allemande en 1942-1943 ! […] C'est dans ce climat que fut utilisé pour la première fois un slogan attribué, vingt ans plus tard, aux étudiants parisiens : “les murs se couvrent d'inscription CR SS“ écrivit l'organe de la CGT. » Les auteurs exposent également le contexte national, avec la fin du tripartisme, et international, avec le plan Marshall et le Coup de Prague.
Le parcours professionnel et artistique de Willy Ronis est aussi longuement évoqué, notamment ses collaborations avec la presse du Parti communiste. Après des recherches formelles dans les années 1920, sans pour autant s’engager dans la voie d’un art strictement militant, il revendique un formalisme réaliste. L’évolution de la presse magazine à cette époque et de la place qu’elle accorde à la photographie, est aussi présentée.
Les auteurs suivent le parcours, clichés par clichés, de Willy Ronis à Saint-Etienne puis Firminy. Ils document largement chacun, consacrant, par exemple, un chapitre aux enfants de mineurs accueillis en Dordogne, pour expliquer la prise de vue d’un bus en partance pour cette destination. Certains anonymes ont pu être identifiés, à l’aide des carnets de notes du photographe notamment, et des éléments biographiques retrouvés sont alors fournis. La construction de chaque photo est aussi rigoureusement analysée, la présence significative de mentions écrites (affiches, journaux, enseignes, graffitis etc.) soulignée. « Pour Ronis les scènes devaient être captées à l'improviste et dans le flux temporel. Ces scènes d'intérieur sont d'autant plus improvisées qu'il a dû bénéficier de très peu de temps pour visiter quatre familles avant de se rendre à Couriot. Mais elles découlent d’une volonté propre d'aller au réel tel qu'il s'offre à sa vue, sans arrangements ni accommodements, sans effets énonciatifs par égard pour les personnes représentées, sans coquetterie de style. Cette pratique résulte de sa part d'une réflexion éthique sur le respect du réel et de son lecteur. »

Un beau livre qui raconte une page cruciale et emblématique de l’histoire des luttes sociales, sous l’angle du regard et du travail de Willy Ronis, photographe chargé d’en rendre compte. Une analyse pluridisciplinaire originale, limpide méticuleuse et exhaustive.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



WILLY RONIS EN REPORTAGE À SAINT-ETIENNE
Une enquête au coeur de a grève de 1948
Jean-Claude Monneret et Jean-Michel Steiner
280 pages – 35 euros
Éditions des Presses universitaires de Saint-Etienne – Collection Histoire, patrimoine et régionalisme –  Saint-Etienne – Octobre 2022
presses.univ-st-etienne.fr/fr/collections/histoire-patrimoine-et-regionalisme/collection-active.html




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