21 octobre 2022

ON NE VA PAS Y ALLER AVEC DES FLEURS

Dans le cadre d’un programme de recherche coordonné par Caroline Guibet Lafaye, une équipe internationale et pluridisciplinaire de chercheurs en histoire, sociologie, science politique et philosophie, ont conduit des entretiens avec plusieurs dizaines de personnes, afin d'étudier les phénomènes de « radicalisation » politique et de recours à la violence. Les témoignages de neuf de ces femmes sont ici réunis. Condamnées par la justice et/ou membres d’un groupe considéré par des États comme terroriste (RAF, Brigades Rouges, Action Directe, ETA, FARC, PKK, No TAV, YPG ou Black bloc), toutes ont suivi un engagement politique clandestin. Elles abordent leurs motivations et les raisons politiques qui ont orienté leurs choix.
Chaque témoignage est précédé d’une contextualisation historique et d’une présentation du mouvement auquel adhérait celle qui s’exprime. Chaque texte suit le même déroulement : enfance, généalogie de la prise de conscience politique et de l’engagement, rapports à la violence, références idéologiques et principes moraux, expérience de la répression, point de vue sur les attentats terroristes en Europe ces dernières années et regard rétrospectif sur leur passé (pour celles qui ont déposé les armes). Nous ne reprendrons pas les réponses de chacune mais glanerons seulement quelques citations emblématiques.

Margrit, ex-membre de la RAF, explique, par exemple, qu’ « en Allemagne, dans tous les débats publics, la première question que les journalistes vous posent, c'est : “comment vous accommodez-vous de la violence ?“ Et ils voudraient évidemment et exclusivement entendre comme réponse : “Je suis terriblement désolée, je regrette, plus jamais je ne recommencerai, pardon.“ Mais non. Moi, je leur oppose des questions toutes simples. Je leur demande : “Vous, comment vous accommodez-vous de la violence ? Quelles guerres légitimez-vous dans vos reportages ? Quelle violence trouvez-vous juste ?“ Et tous légitiment toujours la violence – mais la violence étatique. »

Tout en assumant son passé, Marlagrazia, ex-membre des Brigades rouges, tempère : « Je suis absolument convaincue aujourd’hui que la violence politique ne permet pas le changement, elle ne fait que déplacer le pouvoir d’un bord à l’autre. Le changement auquel j’aspire ne viendra jamais de la pratique de la violence, mais de quelque chose de bien plus profond, d’une pratique quotidienne à cultiver instant après instant. »

Nathalie, ex-membre d’Action directe, revient sur son engagement : « Moi, je ne suis pas radicale. Simplement… combattante, oui. Mais… normale. Dans un système qui exploite et qui détruit, c'est normal d'être combattant. Contre la destruction, il faut se battre. C'est comme respirer. Si j'arrête de respirer, je meurs. Si je ne me bats pas, je meurs. » « Donc le pouvoir est une chose à abattre, à détruire. Il l’était déjà. Il l’est toujours, encore plus maintenant parce que là, c'est le fascisme qui pénètre doucement partout. Enfin, qui a doucement pénétré, qui est en train de se mettre en place. »

Audrey, ex-membre des FARC, justifie ses choix : « Je ne crois pas à l’affirmation “tous les moyens sont bons“. Mais la légalité, c'est quelque chose de très subjectif. Je fais une grande différence entre ce qui est juste et ce qui est légal, entre ce que tu dois faire parce que ta conscience que le dicte et ce que tu peux faire par ce que la loi le dit. À partir du moment où il est clair que la loi n'est pas la justice, pour toi ce n'est plus ta loi. » « Ce qu'on appelle radicalisation ou extrémisme, c'est être en accord avec ce qu'on pense. Contrairement à tous les gens, largement majoritaires, qui ont des pensées progressistes, sentent que les choses ne vont pas bien, mais  ne font absolument rien, continuent de vivre, restent entre eux. »

Federica, du mouvement No Tav explique : « À mon avis, ouvrir des maisons abandonnées pour y accueillir des migrants ou des gens en difficulté, c’est un devoir presque éthique et moral à l’égard de ces personnes. Donc, s’il faut parler d’illégalité, elle est de l’autre côté, du côté de ceux qui gouvernent, et certainement pas dans nos actions – et pas non plus dans les cortèges qui finissent par des tensions avec les forces de l’ordre. Je ne reconnais les termes ni de « violence » ni de « gestes illégaux », parce que pour moi c’est une catégorisation des manifestants : une fois que l’objectif a été décidé, on essaie de l’atteindre par tous les moyens. Y compris parce qu’en face, c’est des Robocops. Les armes ne sont pas de notre côté. »

Eddi a rejoint les YPG, au Kurdistan syrien, en 2017. Elle raconte : « On peut grignoter du terrain à l’état, même quand il a l'air bien installé. Pour moi, l'État est une machine à créer de la dépendance. La révolution est un processus, ce n'est pas le jour où l'État tombe, par exemple. Parce que si tu ne sais pas quoi faire au moment où l'État tombe, ça va être difficile de construire un autogouvernement. En gros, tu travailles de ton côté, c’est-à-dire dans la société, et tu crées des structures qui rendent l'État superflu, qui cassent les liens de dépendance créés par l’État, qui en finissent avec cette rengaine qu'on nous répète depuis toujours que sans État ce serait le chaos et qu'on n’aurait pas ce dont on a besoin. » « Notre société n'est pas une société sans violence. C'est une société où la violence est monopolisée par l'État. Y recourir n'est rien d'autre que de l'autodéfense quand on essaie d'en finir avec ce monopole. » Elle rappelle que « le mot “radical“a lui aussi été maltraité, mais il ne signifie rien d'autre qu ‘ “aller à la racine“des choses ; je pense qu'on ne peut pas agir autrement. Ne pas être radical, ça veut dire être superficiel. Être superficiel, ça veut dire se condamner à l'impuissance et à la souffrance. »

Chacune de ces neuf voix, de ces neuf expériences contribuent, par la diversité de leur point de vue, au débat nécessaire sur l’usage politique de la violence.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


ON NE VA PAS Y ALLER AVEC DES FLEURS
Violence politique : des femmes témoignent
Entretiens rassemblés par Alexandra Frénod et Caroline Guibet Lafaye
224 pages – 21 euros
Éditions  Hors d’atteinte – Collection « Faits et idées » – Marseille – Septembre 22
www.horsdatteinte.org/livre/on-ne-va-pas-y-aller-avec-des-fleurs/

 

Voir aussi :

COMMENT LA NON-VIOLENCE PROTÈGE L’ÉTAT

L’ÉCHEC DE LA NON-VIOLENCE

LA VIOLENCE : OUI OU NON



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