15 juin 2023

MANIFESTE DE L’ANARCHIE

Anselme Bellegarrigue (1813-1869) publie en 1850, dans le premier numéro de L’Anarchie, Journal de l’ordre, son Manifeste de l’anarchie, un virulent brûlot contre la farce électorale et la fourberie des partis politiques.
Il définit l’anarchie comme « le néant des gouvernements », « l’expression vraie de l’ordre social » car « le gouvernement c’est la guerre civile ». Il se déclare « anarchiste, c’est-à-dire homme de libre examen, huguenot politique et social ». Il considère l’intérêt collectif ou d’État comme « une fiction pure, dont l’invention théocratique a servi de base à tous les clergés » et affirme qu’il n’y a pas d’intérêt supérieur au sien. L’intérêt collectif cesse d’exister aussitôt que l’intérêt d’un seul individu est lésé. Il n’a qu’une doctrine : jouir. Mais cet « individualisme cru », cet « égoïsme natif » dont il se revendique ne cause de dommage à personne, n’appartenant qu’à lui-même. « Tout homme est un égoïste ; quiconque cesse de l’être est une chose. Celui qui prétend qu’il ne faut pas l’être est un filou. » Il argumente vivement contre « le dogme de la résignation, de l’abnégation, de la renonciation de soi […] prêché aux populations » : « Vous avez cru jusqu’à ce jour qu’il y avait des tyrans ! Eh bien vous vous êtes trompés, il n’y a que des esclaves : là où nul n’obéit, personne ne commande. »
Il dénonce l’artifice du prétendu contrat social, considérant que l’état de nature est déjà un état de société et que chaque mode d’être social échappe à toute stipulation, étant variable et indéterminé.
« Il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi du peuple. » « On subit l’oppression mais on ne discute pas avec elle quand on veut qu’elle meure ; car discuter c’est transiger. » En épousant les querelles des gouvernements et des partis, on ne fait que prolonger ses souffrances. Un parti n’est qu’un « assemblage d’ambitieux vulgaires, faisant la chasse aux emplois » et un gouvernement ne s’agite que pour les conserver.
Pour démontrer qu’il n’existe pas de manière équitable de gouverner, il explique que l’impôt sur les riches va frapper les pauvres : « Voulez-vous exonérer le pauvre ? N’imposez personne. Administrez la France avec 180 à 200 millions, comme s’administrent les États-Unis. »
Il fustige également le suffrage universel, « cession pure et simple de la souveraineté ».

Dans un second texte, écrit en 1848, Anselme Bellegarigue propose une « interprétation de l’idée de démocratie ». Il formule les mêmes réflexions différemment : « Nous avons élu des représentants pour rédiger un contrat qui déterminât, par des clauses précises, la ligne suprême où finit le peuple et où commence l’administration ; elle a décidé, sans l’écrire, que le peuple finissait partout et que le gouvernement commençait partout aussi. » Il ne croit pas aux révolutions armées ni au socialisme « qui veut faire de la société une immense ruche dont chaque alvéole recevra un citoyen auquel il enjoint de rester coi et d'attendre patiemment qu'on lui fasse l'aumône de son propre argent. Les grands dispensateurs de cette aumône, percepteurs suprêmes des revenus universels, formeront un état-major, passablement renté, qui, en se levant le matin, daignera satisfaire l'appétit public, et qui, s'il dort plus longtemps que de coutume, laissera 36 millions d'hommes sans déjeuner. » Bien entendu, il fonde ses analyses sur les événements contemporains mais son propos peut parfaitement s’appliquer à notre actualité : « Le brigandage n'est pas organisable. Je me trompe, on peut l’organiser, et voici comment : placez dans chaque commune une autorité plus jalouse du droit exceptionnel que du droit public ; établissez dans chaque arrondissement, dans chaque département des magistrats haineux, intolérants et fanatiques ; constituez au sommet de cette hiérarchie un chef suprême aveuglé par l'orgueil de la domination et nourri dans des dogmes impies ; donnez à cet homme quatre ou cinq cent mille hommes armés pour soutien ; et la spoliation pour mot d'ordre et la violation des droits acquis est consommée. Mais on me dit que le tableau ci-dessus n’est autre chose que l'organisation administrative, fondée par les constitutions. Je l’avoue, et il suit de là qu'un malfaiteur qui ne s'emparerait pas de l'administration de l'État ne serait nullement à craindre. Mais cela revient à dire aussi que cette administration nous annule de telle sorte que nous sommes à l'entière discrétion du premier audacieux que les hasards y peuvent précipiter. »

Si l’individualisme d’Anselme Bellegarrigue peut prendre parfois des accents libertariens, ses réflexions incisives sur la fiction de l’État-moderne, notamment, méritent qu’on s’y attardent, et pas uniquement pour satisfaire notre insatiable curiosité quant à l’histoire des idées.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

MANIFESTE DE L’ANARCHIE
suivi de AU FAIT, AU FAIT !! INTERPRÉTATION DE L’IDÉE DE DÉMOCRATIE
Anselme Bellegarrigue
128 pages – 10 euros
Éditions  Lux – Collection « Instinct de liberté » – Montréal – Août 2022
luxediteur.com/catalogue/manifeste-de-lanarchie-2/



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