Biographie « intellectuelle » de Voltairine de Cleyre (1866-1912), figure du mouvement anarchiste, par Alice Béja, maîtresse de conférence à Sciences Po Lille, à partir de l’analyse de ses discours, articles, poèmes et nouvelles, mais aussi de sa correspondance, matériel rarement utilisé.
Après avoir grandi dans le Michigan rural, elle vit à Philadelphie où elle fréquente les cercles radicaux et anarchistes et se fait remarquer par ses discours critiques de la religion et en faveur de l’émancipation des femmes. Elle refusera toujours d’être rémunérée pour ses conférences et vivra de ses cours d’anglais. Élevée dans un couvent Catholique de l’Ontario, au Canada, elle en sort athée et anticléricale. Cette première expérience de l’oppression se révèle fondatrice : pour la première fois elle se rebelle contre l’autorité. D’abord influencée par l’anarchisme individualiste, elle se tourne, après ses échanges avec Dyer D. Lum et sa rencontre avec Emma Goldman en 1893, vers l’anarchisme communiste, mais se revendiquera toujours « anarchiste, tout simplement, sans étiquette économique ». Après l’attentat du Haymarket, le 4 mai 1886, puis l’assassinat du président des États-Unis William McKinley en septembre 1901, la diabolisation et la répression contre les anarchistes s’intensifie. Elle sera personnellement épargnée, arrêtée une seule fois.
Voltairine de Cleyre reproche à ses camarades masculins de « reproduire dans leurs relations de couple les hiérarchies et les dominations qu’ils dénoncent par ailleurs et de considérer l’amour libre principalement comme la possibilité de coucher avec qui ils veulent ». Plutôt que de militer pour le droit de vote, ce « chiffon de papier », elle défend « le droit de femmes à choisir leurs partenaires sexuels, à exprimer leurs désirs et à contrôler leur corps » : « La liberté telle qu'elle la conçoit doit se construire dans tous les domaines de la vie, du portefeuille à la chambre à coucher. »
En 1902, un de ses anciens élèves lui tire dessus, lui occasionnant des blessures qui lui laisseront de lourdes séquelles. À cette occasion, elle récuse le droit à la société de punir les criminel·les, étant elle-même à l’origine de leurs actes et prône l’impossibilité, pour quiconque, de juger son semblable.
Collaboratrice régulière de Mother Earth, elle critique vivement les alliances nouées par Emma Goldman avec des intellectuel·les et artistes bourgeois·es, considérant que l’anarchisme doit appartenir à la classe ouvrière.
Alice Béja rend compte de ses différents engagements, de ses séjours en Europe, des cours qu’elle dispensera, à l’école moderne de Chicago et ailleurs, de la maladie physique (inflammation des sinus, souvent accompagnée de violents acouphènes) et du mal-être psychique (dépression qui l’accable régulièrement) qui la feront souffrir tout au long de sa vie, jusqu’à provoquer sa mort le 20 juin 1912.
L’auteur intercale également entre chaque chapitre des lettres adressées à Voltairine de Cleyre, expression de la familiarité née de la fréquentation de son œuvre et de sa vie, procédé original qui lui permet nombre de commentaires.
Après la publication de ses textes par les éditions Lux, cette biographie contribuera sans doute tout autant à éveiller l’intérêt et la curiosité pour cette féministe radicale et sa pensée qui fait écho à bien des débats actuels.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
VOLTAIRINE DE CLEYRE
Alice Béja
288 pages – 21 euros
Éditions de l’Atelier – Paris – Mars 2025
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