Après le scandale des prisons américaines en Afghanistan,
à Guantanamo et Abou Ghraïb, Angela Davis revient sur le système carcéral de
son pays, reflet d’un modèle démocratique basé sur les inégalités sociales et
raciales.
Rapidement, elle évoque ses années de formation et
de militantisme aux côtés des Blacks Panthers, qui l’ont conduite en prison.
Très proche de l’école de Francfort, elle a
notamment étudié avec Herbert Marcuse. Elle considère que si le capitalisme a
triomphé suite à l’effondrement de la communauté socialiste des nations, il
continue à faire preuve de son incapacité à se développer sans étendre et
intensifier l’exploitation entre humains.
Très influencée par W.E.B. Du Bois, elle soutient
que les Noirs d’Occident ont une responsabilité particulière envers l’Afrique,
l’Amérique latine et l’Asie en vertu d’une identification politique façonnée
par la lutte plus que par un lien biologique. Une approche fondée uniquement
sur les droits civiques ne peut supprimer le racisme structurel. Le défi du XXIe
siècle ne consiste plus à exiger l’égalité des occasions de participations aux
rouages de l’oppression mais à démanteler les structures où le racisme est
encore incrusté. Il faut encourager l’émergence de communauté de luttes
trans-raciales à partir d’aspirations politiques communes et radicales. Elle
démontre comment la prison reproduit certaines formes de racisme à partir des
vestiges de l’esclavage, notamment par la perpétuation systématique de la peine
de mort aux États-Unis.
À la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe, tandis
que les blancs étaient soustraits à la menace de la peine de mort pour la
plupart des délits excepté le meurtre d’un blanc, dans certains États c’était
jusqu’à soixante-dix délits qui étaient passibles de la peine capitale pour les
esclaves noirs. L’abolition de l’esclavage apporta l’égalité des droits devant
la loi, pourtant les condamnations frappent aujourd’hui de façon
disproportionnée les Noirs. Le racisme est devenu invisible. Angela Davis affirme que le retrait du droit de vote
aux personnes reconnues coupables de crimes est une composante des structures
mentales qui plongent leurs racines dans l’esclavage.
Elle parle d’industrie du châtiment, de complexe
carcéro-industriel, terme qu’elle utilise en résonance avec celui de complexe
militaro-industriel car tous deux dégagent des profits en produisant les moyens
de mutiler, de tuer des êtres humains, de dévorer les ressources sociales. De
nombreux jeunes – dont beaucoup de couleurs – s’engagent dans l’armée pour échapper à une trajectoire de
pauvreté, de toxicomanie et d’analphabétisme qui les mènerait directement en
prison.
Au contraire de l’idée généralement admise comme
quoi le crime engendre le châtiment, elle affirme que l’accroissement de
l’incarcération est du à l’accroissement de la surveillance. La prison est le
moyen de faire disparaître des gens dans le faux espoir de faire disparaître
les problèmes sociaux sous-jacents qu’ils incarnent, c’est la solution punitive
à tout un ensemble de problèmes sociaux négligés par les institutions : au
lieu de construire des maisons, de développer le système éducatif, de lutter
contre la désindustrialisation, la mondialisation du capital et le
démantèlement de l’État providence, on jette en prison les sans-abris, les
analphabètes et les sans-emplois.
La panique morale devant le crime n’est absolument
pas liée à une augmentation de la criminalité mais au problème de la gestion de
vastes populations rendues superflues par le capitalisme planétaire.
Elle ajoute que le terreau sur lequel pousse la
figure du terroriste dans l’imaginaire états-unien est issu des vestiges de
paniques antérieures suscitées par la peur collective du criminel (noir) et du
communiste.
L’exportation de techniques de châtiments à Abou
Ghraïb, Guantanamo, n’est pas une anomalie mais s’inscrit profondément dans
l’histoire de l’institution carcérale. Le racisme s’est imbriqué avec les
pratiques d’emprisonnement à travers le monde. En Europe, en Australie, comme
aux États-Unis, un nombre disproportionné de personnes de couleur et de personnes
originaires du Sud mondialisé est incarcéré.
La question de l’abolition du système carcéral
oblige à reconnaître les nécessaires transformations radicales que devra subir
l’ordre social actuel. De même, pour abolir entièrement les conditions oppressives
engendrées par l’esclavage, il eût fallu créer de nouvelles institutions
démocratiques. Les Noirs ont été soumis à de nouvelles formes
d’esclavage : la servitude par endettement, le système de louage des
détenus, le système éducatif ségrégué. Le système carcéral est la perpétuation
de cet héritage.
Angela Davis dénonce les politiques et pratiques
fascisantes naissantes. Au-delà des installations à l’extérieur du pays
considérées comme en dehors de la loi états-unienne et qui « normalisent »
la torture, les nouveaux établissements à sécurité maximale renforcée sont
également des lieux où la démocratie n’a plus le droit de cité. La
simplification du discours politique (« Vous êtes soit pour, soit contre
le terrorisme. ») a facilité l’expression des positions extrémistes. Cette
rhétorique est une stratégie pour recueillir le soutien à la guerre planétaire
et infantiliser, encourager les gens à contempler le réel comme un western,
genre qui participa à intégrer le racisme dans la psyché collective.
Ce recueil d’entretiens n’échappe pas aux
inévitables redondances mais profondes et troublantes sont les réflexions d’Angela
Davis sur les origines de la crise éthique et politique que traverse les États-Unis.
LES GOULAGS DE LA DÉMOCRATIE
Réflexions et entretiens
Angela Y. Davis
Traduit de l’anglais par Louis de Bellefeuille
162 pages – 15 euros.
Éditions Au diable vauvert – Vauvert – juillet 2006
J'ai lu le livre, saisissant; J'en ai fait un long commentaire sur mon blog :
RépondreSupprimerhttp://cyclo-lecteur.blogspot.fr/2016/02/7-fevrier-2016-angela-davis-icone.html
A lire aussi, son "Autobiographie" (dernière édition chez Agone)et un autre recueil "Une lutte sans trêve" (édition La Fabrique)