Aimé Césaire, dans une langue puissante et riche,
puisant autant à Rimbaud qu’au surréalisme, chante son île, sa terre. Il assume
ses origines de descendants d’esclaves, dépasse la honte et revendique ce qu’il
nomme sa négritude. Il rend sa dignité à tout un peuple.
Il évoque sa famille, son enfance, sa prise de
conscience, la Martinique mais ce texte poétique, quasi incantatoire, ne relève
pas du récit, n’est jamais narratif. De même, lorsqu’il rappelle « ces
quelques milliers de mortifères qui tournent en rond dans la calebasse d’une
île », « Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois et
dit qu’elle croyait à son humanité », c’est sans aucune précision
historique.
Poésie donc, saluée par André Breton. Cri de
révolte : « J’ai assassiné Dieu de ma paresse de mes paroles de mes
gestes de mes chansons obscènes ».
« Mais qui tourne ma voix ? qui écorche ma
voix ? (…) C’est toi sale haine. C’est toi poids de l’insulte et cent ans
de coups de fouet. »
« Et ce pays cria pendant des siècles que nous
sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux
portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement
prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer
rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places
et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que
nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était
dans ses actes. »
De son histoire, il fait surgir une force, une
vitalité, une espérance qui s’attaque au poids des traditions et à la
résignation : « Je salue les trois siècles qui soutiennent mes droits
civiques et mon sang minimisé. » Il s’adresse à « ceux qui n’ont
connu de voyages que de déracinements
ceux qui se sont assouplis aux agenouillements
ceux qu’on domestiqua et christianisa ».
Il abandonne tout ressentiment et s’extirpe du
piège du racisme : « ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je
n’ai que haine (…)
vous savez que ce n’est point par haine des autres
races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle ».
Définitivement, il affirme qu’ « aucune
race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force »
et constate que déjà « La vieille négritude progressivement se
cadavérise », celle du « bon nègre à son bon maître. »
Cahier
d’un retour au pays natal est le chant, le cri d’un homme. Il fait
partie de ces textes nécessaires. Aimé Césaire gueule sa colère, sa révolte et
son espoir. Son verbe est le levier qui ébranle le monde.
« Et nous sommes debout maintenant, mon pays et
moi »
CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL
Aimé Césaire
Suivi de la préface d’André Breton à l’édition de
1947 : « Un grand poète noir »
98 pages – 4,90 euros
Éditions Présence africaine – Collection Poésie –
Paris/Dakar – janvier 1983
Initialement publié dans le n°20 de la revue Volontés en 1939.
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