24 août 2018

TENTATIVE(S)S DE RÉSISTANCE(S)

Marie-Do Fréval prend la parole. Elle prend la parole dans l’espace public car « l’heure est grave » et « la période est historique », car « le théâtre de la résistance doit renaître » : « Je reviens vers vous face au tyran économique-lubrique qui nous laisse chaque jour un peu plus inanimés sur le paillasson citoyen, enfermés dans une fausse maison démocratique, émasculés devant l’éternelle télé, crucifiés au poteau de la caméra de surveillance, lobotomisés par la publicité ».
Elle va incarner tour à tour cinq personnages qui s’enchaîneront par association d’idées, comme pour un marabout-bout de ficelle. De même, les spectateurs, représentants des français dans leur ensemble, seront invectivés comme fromages, « portrait craché de nous tous : onctueux, dégoulinants, forts en goût et en gueule, puants, remplis de vers, crémeux, couverts de croûtes ou de cendres et prêts à ramper toute la vie pour la patrie », par une « Marie de La Gaule », aux accents bien évidemment gaulliens, puis, fort logiquement comme veaux par « une vache laitière », la « vache du commerce équitable qui refuse les inégalités » tout en pétant La Marseillaise. La vieille « qui vient se bâfrer de chantilly avant de sucrer les fraises » va leur conseiller « d’être riche ou de voler l’argent des riches » pour ne pas finir comme elle, « vieille endettée et édentée ». Des chansons, le plus souvent populaires voire traditionnelles, viennent régulièrement rythmer le texte. Avec Brigitte Fontaine, elle proclame : « Je suis vieille et je vous encule ». De la même façon des histoires drôles sont discrètement intégrées au discours, apportant ponctuellement un peu de légèreté. Sa Marianne assume toutes les ambiguïtés de la République, diabolique et salope, poussée à l’insolence, équipée d’un gode en caoutchouc, pour que toutes les filles puissent « garder la culotte ». Enfin, Marie-Do Mininik Saint Phalle, double de l’artiste, déclare la rue « territoire occupé » et invite les lapins à répondre au chasseur : « Résister, c’est tirer. »

Une longue interview de l’auteur permet de découvrir son parcours artistique et de mieux appréhender la genèse de son texte, plus viscéral que cérébral, et surtout ses intentions. Marie-Do Fréval écrit avec ses tripes dans des improvisations commises en état d’urgence existentielle absolue, pour essayer quelque chose, pour pousser à entrer collectivement en résistance. Fort peu de références et de culture politiques apparentes mais ça n’est finalement pas plus mal. Le propos conserve ainsi sa spontanéité et sa vitalité. Son cri reste cru, à vif, litanie hallucinée composée pour échapper à l’enfermement, explosion à peine métaphorique : « Ma résistance, c’est une poésie en surrégime qui va plus vite que la conscience ». S’il n’y a pas de projet au-delà de l’appel à la prise de conscience, son nouveau spectacle, présenté ces jours-ci au Festival de théâtre de rue d’Aurillac, Tentative(s) d’utopie(s) vitale(s), fait un pas de plus et réussit fort habilement à donner la parole aux spectateurs qui entonnent et terminent l’ultime chanson avec beaucoup d’émotion. Marie-Do Fréval a le mérite d’essayer, avec ferveur, énergie et engagement total. « Tentative tentée. » On attend la suite.




TENTATIVE(S)S DE RÉSISTANCE(S)
Marie-Do Fréval et la Compagnie Bouche à Bouche
82 pages – 15 euros
Éditions Deuxième époque – Collection « Écritures de spectacle » – Montpellier – Avril 2017
https://www.deuxiemeepoque.fr/index.php

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