Elle met à profit les multiples périodes d'emprisonnement pour lire, de l'économie, mais aussi un peu de littérature de philosophie, et écrire. Bien qu’elle collabore à de nombreux journaux, en Allemagne et en Pologne, elle explique ses difficultés à aborder certains sujets, notamment la grève de masse qui embarrasse le SPD, embarqué dans une stratégie parlementariste.
Lors du déclenchement de la Première guerre mondiale, elle exprime une critique extrêmement sévère à l’encontre des partis socialistes : « Le socialisme allemand et international est dans un état de crise comme jamais auparavant dans l'histoire, et cette guerre lui pose la question de son destin. Si après la guerre on ne parvient pas à marquer une distinction absolue, authentique et sérieuse, même pour les temps de guerre, entre le socialisme international et l’impérialisme et le militarisme dans tous leurs subterfuge, alors le socialisme peut se faire enterrer, ou plutôt il aura déjà été son propre fossoyeur. » « Il est bien évident que le parti et l'Internationale sont foutus, complètement foutus, mais c'est précisément l'ampleur grandissante du désastre qui en fait un drame historique mondial, qui ne peut plus être confronté qu'à un jugement historique objectif et rend déplacés les gestes personnels de mauvaise humeur – inutile de s'arracher les cheveux. »
Elle évoque tout autant ses diverses passions, comme la botanique, à laquelle elle s'adonne consciencieusement, conservant près de 250 plantes dans ses herbiers. « Errer dehors, dans les prairies printanières », par exemple, contribue à la « cuirass[er] pour tous les combats à livrer et dédommag[er] pour toutes les privations ». La géologie, la géographie végétale et animale l'intéressent aussi, d'un point de vue scientifique mais également empirique et sensible. En 1917 déjà, elle s'interroge sur la disparition des oiseaux chanteurs en Allemagne : « C'est l'entretien rationnel des forêts de plus en plus étendu, la culture des jardins et l'agriculture qui font disparaître une à une toutes leurs possibilités naturelles de nicher et de trouver leur nourriture ». Sa profonde et sincère curiosité pour le monde animal s'exprime constamment, comme dans l'amitié qu’elle lie avec une mésange et l'empathie qu'elle éprouve pour un buffle battu par un soldat, par exemple. « Sur ma tombe, comme dans ma vie, il n'y aura pas de phrase grandiloquente. Sur la dalle de mon tombeau, on ne devra lire que deux syllabes : “zwi-zwi“. C'est le cri des mésanges charbonnière que j’imite si bien qu’elles accourent aussitôt. »
Si elle reste pudique sur ses relations sentimentales, que les notes de bas de page nous éclairent, elle admet leur importance pour elle : « Pour moi, l'amour a été (ou est ?…) toujours plus important, plus sacré que l'objet qui l’éveille. Parce qu'il permet de voir le monde comme un conte de fées scintillant, parce qu'il fait sortir de l'être humain ce qu'il a de plus noble et de plus beau, parce qu'il réhausse ce qui est le plus commun et le plus humble et le sertit de brillants et parce qu'il permet de vivre dans l'ivresse, dans l’extase… »
La préface de Julien Chuzeville fournit d’importants repères biographiques et quelques clés pour appréhender sa pensée politique.
Judicieuse sélection de documents qui permet de découvrir la personnalité de Rosa Luxemburg, surtout connue comme théoricienne marxiste, icône et martyre, de comprendre qu’elle désirait tout autant « vivre pleinement » que changer la société.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
COMMENCER À VIVRE HUMAINEMENT
Lettres présentées et annotées par Julien Chuzeville
Rosa Luxemburg
146 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Montreuil – Janvier 2022
editionslibertalia.com/catalogue/la-petite-litteraire/rosa-luxemburg-commencer-a-vivre-humainement
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