Il définit le qualificatif de « chasseurs-cueilleurs » comme s’appliquant aux peuples qui « assurent leur alimentation en exploitant des ressources dites sauvages ou spontanées, c'est-à-dire non domestiquées », en prenant soin de préciser toutefois qu'il y a toute « une gradation du sauvage au domestique » et que l'exploitation des ressources sauvages ne disparaît pas avec l'agriculture et l’élevage. Avec les exemples des peuples de la côte nord-ouest américaine qui vivent de ressources spontanées dans des villages permanents à forte densité démographique, connaissent l’esclavage, la division du travail et les inégalités sociales systématisées, et ceux du sud-est sibérien, également sédentaires et pratiquant l'esclavage et la différenciation entre riches et pauvres, Alain Testart montre la fragilité de cette catégorisation chez beaucoup de chercheurs qui excluent les sédentaires et l'exploitation du travail d’autrui. Il fait l’hypothèse que les chasseurs-cueilleurs nomades sont des exceptions, au moins au paléolithique moyen et supérieur. Il montre aussi comment au Natoufien, l’apparition d'agglomérations construites avait précédé la production de subsistance, en Syrie et en Palestine. La poterie a parfois été inventée avant l’agriculture (de dix mille ans dans le cas de la poterie Jomon du Japon) et ne peut donc en être une conséquence. « Bien des chasseurs-cueilleurs sont tout autant révolutionnaires que les agriculteurs. »
Le stockage est lié à la sédentarité par une causalité réciproque. Si le surplus, c’est-à-dire la production excédentaire par rapport aux besoins des producteurs, ouvre la voie à leur accaparement par des non-producteurs, c’est-à-dire donne naissance à l’exploitation de l’homme par l’homme et à la société de classes, il est parfaitement possible avant l’apparition de l’agriculture, dans une économie de chasse-cueillette. C’est le stockage des aliments de base qui, en transformant la plus grosse part de la production en biens durables, rend possible le développement de la richesse. Le stockage devenu pratique courante permet aux chasseurs de s’abstenir de partager, les réserves constituant alors une assurance pour l’avenir. « Le stockage est un mécanisme de régulation qui diminue l'intérêt du partage. » Son apparition provoque un changement d’ idéologie et une mutation des rapports sociaux. « Le stockage est corrélatif d'une tendance à l'individualisation de la propriété. » Pour faire face aux aléas, on emmagasinera un peu plus que la quantité nécessaire prévisible. Si des réserves alimentaires non pas été consommées elles peuvent être accaparées par d'autres que les producteurs, sans travail supplémentaire. Ceux qui assurent la gestion du stock, contrôlent son utilisation et sa distribution, justifieront par l'importance de leurs fonctions le prélèvement de parts à leurs fins personnelles. « Pour que l'accumulation d'un excédent alimentaire important puisse signifier la richesse de celui qui la possède, il faut à long terme qu'il puisse le convertir : l'existence de produits de luxe, qui concentrent en eux une grande quantité de travail spécialisé et hautement qualifié, représente une solution à ce problème. »
L’auteur étudie ensuite, avec une grande minutie, un nombre important de cas typiques, probables et limite. Il définit les conditions pour la réalisation du stockage : présence d’une ressource saisonnière, abondante, récoltable en masse et aisément stockage sur une grande échelle. Puis il examine dans quelle mesure l’environnement naturel permet de rendre compte de sa répartition géographique : « Au nord du tropique du Cancer, on trouve partout des chasseurs-cueilleurs sédentaires pratiquant le stockage, sauf dans les déserts et dans les régions déshéritées du nord où la chasse constitue l'activité principale. Loin de constituer un phénomène exceptionnel, ce type d'économie apparait comme étant la règle dans l'hémisphère Nord. » Il est au contraire pratiquement absent de l'hémisphère Sud.
Malgré la vraisemblable différence de développement technique entre les peuples selon les régions, il tente de date leur date possible d’apparition, en recherchant les traces des différentes techniques (de chasse et de cueillette, de préparation et de conservation) dans les travaux des préhistoriens et des ethnologues. D’après les données disponibles, l’exploitation intensive des graines et des ressources aquatiques semble tardive. L’extinction du gros gibier à la fin du pléistocène a certainement incité à la recherche d’autres ressources, notamment végétales, marquant une diversification des économies de subsistance.
Non seulement Alain Testart considère que la période néolithique ne fut finalement pas si « révolutionnaire » que ça, mais il conteste « l’impression de dégénérescence mésolithique », de décadence. Cette dernière période a en effet connu une amélioration de l’outillage, discrète mais vitale, avec l’insertion de micro-lames dans des fûts osseux. Constatant ce qu’il nomme un « phénomène de réadaptation écologique », il défend l’idée de « révolution mésolithique », qui aurait précédée l’invention de l’agriculture ou pas, selon les régions. Celle-ci ne fournit au départ qu'une part insignifiante de l'alimentation et plusieurs millénaires de pratiques agricoles furent nécessaires pour que le maïs, par exemple, soit suffisamment amélioré pour jouer le rôle de nourriture de base.
Exposé extrêmement rigoureux qui propose une nouvelle histoire des origines de l’humanité et apporte une nouvelle interprétation de l’apparition des inégalités.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LES CHASSEURS-CUEILLEURS OU L'ORIGINE DES INÉGALITÉS
Alain Testart
Préface de Valérie Lecrivain et Geoffroy de Saulieu
400 pages – 9,40 euros
Éditions Gallimard – Collection Folio Histoire – Paris – Mai 2022
www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Les-chasseurs-cueilleurs-ou-L-origine-des-inegalites#
Première édition : La Société d’ethnographie, Paris, 1982.
Merci à Thom Holterman pour la traduction en hollandais de cet article : libertaireorde.wordpress.com/2022/09/18/jagers-verzamelaars-en-de-oorsprong-van-ongelijkheden/
Voir aussi :
Je note! Voilà le genre de livre qu'il pourrait m'intéresser, d'abord de lire, et ensuite de verser dans le Circul'livres de l'AMAP dont je fais partie!
RépondreSupprimer(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola