Le parc des Buttes-Chaumont est devenu un gigantesque camp d’entraînement dans lequel des militantes se forment en autogestion aux dernières pratiques de guérilla urbaine à la mode. Des régiments de joggers, anciens « esclaves du capital », « véritables cyborgs mercenaires [dont les] corps sont outillés par la Mesure », « produisent une partie de l'électricité dans des sortes de goulags souterrains dont l'existence pose question aux plus convaincus des révolutionnaires ». Le 1er mai, devenu la fête des flics après les trahisons répétées des syndicats, est souvent l’occasion de combats : on renforce les barricades. Fascistes qui appellent à la guerre sainte contre l’anarco-spiritualisme, Brav qui tentent des incursions, contrôleurs de la CAF, « une sorte de cabale secrète d’anciens administrateurs sociaux zélés », paramilitaires de l’en-dehors qui attaquent les centres pour migrants, les refuges pour toxicos et les plannings familiaux, policiers survivalistes fous et surarmés, laissent peu de répit. « Et puis ? nous n'allons pas pour autant entrer dans la logique de l’ennemi – qui trop combat le dragon devient dragon lui même –, s’il nous faut bien rendre la justice, prendre en charge les embrouilles, parfois en venir à la bagarre et se salir les mains, nous refusons catégoriquement de recréer une police, de nous fliquer entre nous, de rétablir la torture, la prison, l’asile, la délation. »
Que le lecteur soit familier ou pas des XIX et XXe arrondissements, chaque évocation fera sens et l’embarquera dans un voyage à peine lointain, errant de surprise en surprise : « Dans l'ancien appartement de Chantal Ackerman qui donne sur la rue de Ménil siège de la commission du luxe communal. C'est ici que s’invente la mode révolutionnaire de Belleville, des vêtements et des uniformes, street et queer, printemps-hiver. »
« Comment inventer l'avenir si le passé nous échappe ? » se demandent Dilem & Bri. Cette description jubilatoire d’un futur possible, assemblage d’utopies désirables en prise avec les (inévitables ?) reliquats d’oppressions existantes, existera les imaginations et semble poser une question complémentaire : Comment inventer l’avenir si on ne commence pas par l’imaginer ? Sans être pessimiste pour autant, leur récit évite la facilité de l’idéalisation et refuse l’économie des écueils : d’ailleurs, « la rue de l’Avenir est une impasse où l’horizon est bloqué par un haut mur d’immeuble ». « Nous avons besoin d’un but, pas simplement de résister. Il nous faut un dégagement, un nouveau monde à construire. Mais comment articuler l'impossible quand le simple possible paraît impensable ? La lutte contre la répression est continue, sans limites. Nos moyen, eux, sont limités, et si nous pouvons contenir des assauts depuis nos murailles, il est peu probable que cela suffise. »
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
MARAUDE(S)
Dilem & Bri
66 pages – 8 euros
Éditions de la Volte – Collection « Eutopia » – Clamart – Octobre 2022
lavolte.net/maraudes/
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