L’historien du mouvement social Julien Chuzeville présente le communisme dans sa grande diversité historique et conceptuelle, depuis l’origine du terme. En répondant à dix questions particulièrement pertinentes, il extrait celui-ci de la seule interprétation usuelle qui le confine à une utilisation honteuse ou anachronique, et le recharge de toute sa puissance émancipatrice.
L’origine.
Comme force politique, le communisme trouve sa source dans le mouvements des Égaux de Gracchus Babeuf, pendant la Révolution française, qui réclame la propriété commune. C’est Nicolas Restif de la Bretonne qui utilise pour la première fois le mot en 1797, lequel réapparaitra pendant les luttes ouvrières et les oppositions démocratiques à la monarchie, à la fin des années 1830, et se diffusera largement à partir de 1840. Des communistes matérialistes revendiquent une « situation égalitaire » et « l'amour de la liberté », tandis qu'Étienne Cabet, partisan d’une « communauté de biens », suscite des tentatives de communautés expérimentales aux États-Unis. Karl Marx et Friedrich Engels se rallient au communisme entre 1842 et 1844, et publient le Manifeste en 1848, qui deviendra un classique à la fin du XIXe siècle, après être passé à peu près inaperçu. Ils définissent le prolétariat comme « classe des travailleurs modernes, qui ne vivent qu’autant qu'ils trouvent du travail ». « Le communisme signifie désormais clairement une société où n'existerait plus l'exploitation capitaliste », ni l’argent. L’Association internationale des travailleurs (AIT) est fondée en 1864 et prévoit dans ses statuts, que « l'émancipation de la classe travailleuse doit être l'œuvre de la classe travailleuse elle-même ». À la fin de XIXe siècle, le terme « socialisme » est couramment utilisé comme synonyme. Le déclenchement de la Première guerre mondiale en 1914 provoque la scission du mouvement.
L’URSS.
Comme ne cesse de le dire ouvertement Lénine : « l'URSS n'a jamais été une société communiste : son économie a été du début à la fin capitaliste d’État. » « Quand l'Union des républiques socialistes soviétiques est proclamée en 1922, la fiction qu'elle serait “socialiste“ remplace le constat de son système économique réel : le nom même d’URSS est donc un mensonge. Fernand Loriot, principal fondateur du Parti communiste en France, écrit ainsi en 1928 : “L'URSS n'est ni U (union), ce qui suppose la libre adhésion des parties composantes, et une certaine autonomie de ces parties ; ni R (république), puisque c'est une dictature centralisée, évoluant toujours davantage vers la dictature personnelle ; ni S (socialiste), puisque le socialisme reste à construire en Russie et que les concessions de plus en plus importantes faites au capitalisme, ne permettent pas, dans la situation mondiale présente, d’en escompter la réalisation ; ni S (soviétique), car les Soviets ne constituent plus en Russie la pierre d'assise du régime.“ » Si elle s’écroule après 1989, « c'est parce qu'elle reposait en grande partie sur des fictions et des mensonges ». Mais le système de privilèges ne disparaît pas dans la nouvelle Russie puisque ce sont d'anciens bureaucrates du régime qui prennent le pouvoir.
Communisme et féminisme.
Julien Chuzeville revient, de la même façon, sur l’histoire du féminisme au sein du mouvement communiste depuis la revendication de J.-J. Navel, en 1842, d’une « égalité parfaite » entre les deux sexes.
Communisme et anarchisme.
S’il existe différents courants anarchistes, et même si certains se réclament explicitement du communisme, de nombreuses caractéristiques les distinguent des communistes : principalement les questions de l’État et de la participation aux élections.
Communisme et écologisme.
Bien que la société communiste soit imaginée, au XIXe siècle, comme un monde où le développement des forces productives doit conduire à une ère d’abondance, Marx écrit en 1867, dans Le Capital, que la production capitaliste « trouble […] les échanges organiques entre l’homme et la terre ». Élisée Reclus, William Morris sont également des précurseurs d’un anticapitalisme écologiste. Cependant, « la mise en place à marche forcée d'un modèle productiviste destructeur par la dictature stalinienne a associé, dans le grand public, le mot communisme à des politiques antiécologistes. » André Gortz, au début des années 1970, puis Michaël Löwy, plus récemment, ont contribué à rapprocher la pensée écologiste du marxisme.
Communisme et propriété.
Si le communisme implique l’abolition de la propriété privée capitaliste, en passant à une propriété commune, collective, des moyens de production, la propriété personnelle n’est pas concernée. Cependant, le droit au logement devant être réellement garanti pour tous, les propriétaires de plusieurs maisons pourraient n’en conserver qu’une, par exemple.
Faut-il lire Marx pour être communisme ?
L’aspiration à une autre société et le refus de la violence, des inégalités, des aliénations, sont le point de départ de l’idée de communisme. On peut donc tout à fait être communiste sans avoir lu un seul livre, de Marx ou d’autres.
La diversité des courants.
Julien Chuzeville revient sur les différentes divisions et oppositions au sein du vaste mouvement communiste, dans la continuité du premier chapitre, depuis les toutes premières dénonciations de la dictature et de la misère en URSS, en passant par les communistes de conseils, les luxemburgistes, l’anarcho-communisme.
Actualité du communisme.
Les partis communistes qui participent à des gouvernements de coalition agissent plutôt comme un courant social-démocrate. Puisque l’organisation économique reste basée sur la croissance des profits, malgré ses conséquences mortifères, le changement demeure nécessaire. Il s’agit de passer à une organisation coopérative, avec une réduction massive du temps de travail pour permettre à chacun de se réapproprier sa vie, de passer à une production pour les besoins réels dans le respect des écosystèmes, loin de tout repli nationaliste ou identitaire, avec un partage égalitaire des tâches et un fonctionnement démocratique.
Ouvrage éminemment synthétique qui dépouille un terme complètement désamorcé par la propagande du pouvoir, les lieux communs qui entravent son utilisation, et le rend à ce qu’il veut dire.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
DIX QUESTIONS SUR LE COMMUNISME
Julien Chuzeville
96 pages – 8 euros
Éditions Libertalia – Montreuil – Décembre 2022
editionslibertalia.com/catalogue/poche/dix-questions-sur-le-communisme
Voir aussi :
Très intéressante note de lecture comme d'habitude mais attention à l'erreur de date : « entre 1842 et 1844 » pas « entre 1942 et 1944 » au début du texte !
RépondreSupprimerP.B.
Oups ! Merci, je corrige tout de suite.
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