23 janvier 2023

LA GUERRE DES PAYSANS EN ALLEMAGNE

Réédition du classique de Friedrich Engels sur le soulèvement des paysans en Allemagne en 1525, avec lequel il cherche à doter le mouvement révolutionnaire allemand d’une mémoire collective et de figures héroïques, mais aussi à inscrire les récentes révolutions de 1848 dans leur continuité historique.
Empruntant les matériaux historiques à Wilhelm Zimmermann, il présente « les figures rudes mais vigoureuses et tenaces de la grande guerre des Paysans » et l’enchaînement minutieux des évènements, après avoir présenté la situation économique et la structure sociale de l’Allemagne au début du XVIe siècle, avec l’essor considérable de l’industrie notamment et l’importance des échanges commerciaux avec le Levant, malgré tout bien inférieurs à ceux d'autres pays. L'organisation provinciale, sans émergence de véritable centre, profita aux princes, affaiblissant l'autorité de l’empire. Leurs besoins d’argent, pour le train de vie de leurs cours et leurs armées permanentes, alourdissaient les impôts, dont le poids retombait sur les paysans, les villes en étant protégées par leurs privilèges. Avec l'invention de l'imprimerie, Le clergé fut privé de son monopole de la lecture, de l'écriture et de la culture supérieure, et se vit évincé des postes les plus influents par la nouvelle caste des juristes. La hiérarchie ecclésiastique féodale distinguait une classe aristocratique, qui organisa le trafic des indulgences pour soutirer encore plus d'argent au peuple, et la fraction plébéienne, composée des curés des villages et des villes, qui fournissaient théoriciens et idéologues aux mouvements de l’époque. La bourgeoisie des villes réclamait des réformes constitutionnelles pour leur permettre l'accès au contrôle de l'administration municipale et une participation au pouvoir législatif. La classe des citadins privés de droits civiques, très hétéroclite, se transforma en parti à la faveur des soulèvements paysans. Mais la grande masse des exploités était constituée des paysans.
L’auteur insiste sur la « souveraineté de la théologie dans tout le domaine de l'activité intellectuelle » à cette époque, pour rappeler que toute attaque dirigée contre le féodalisme était avant une attaque contre l’église, que toutes les doctrines révolutionnaires, sociales et politiques étaient en même temps et principalement des hérésies théologiques : il s’agissait, d'une part, de rétablir l'Église primitive et de supprimer la hiérarchie du clergé, et, d'autre part, de revenir aux conditions d'égalité du christianisme primitif. Avec Thomas Müntzer, ces dernières aspirations sont formulées avec netteté. Friedrich Engels s'efforce constamment d'établir un parallèle avec la situation de 1848. Ainsi, compare-t’il l’opposition de Luther aux dogmes de l'église catholique à celle des constitutionnalistes allemands. Une fois « l'Église bourgeoise réformée » constituée, au prix de marchandages, de diplomatie, de concessions, d'intrigues et d’accords, Luther abandonna les éléments populaires du mouvement qu'il avait pourtant soulevés, et s'unit avec le pape, les bourgeois et les princes, « contre les hordes criminelles et pillardes de paysans » : « Il faut les mettre en pièces, les étrangler, les égorger, en secret et publiquement, comme on abat des chiens enragés ! », s'écria-t-il. Avec sa traduction de la Bible, il avait donné au mouvement plébéien une arme puissante mais il la retournait maintenant contre lui, en en tirant « un véritable hymne aux autorités établies par Dieu, tel que n’en composa jamais aucun lèche-bottes de la monarchie absolue ! »
Müntzer ne fit que reprendre et poursuivre les prêches violents de Luther. Il supprima l'emploi du latin, rejeta la Bible comme révélation infaillible et lui opposa la raison. De même que sa philosophie religieuse « frisait l’athéisme, son programme politique frisait le communisme » : il exigeait l’instauration immédiate sur terre du royaume de Dieu, société sans différence de classes, ni propriété privée, ni pouvoir d'État étranger à ses membres. Sa propagande fut considérablement facilitée par les anabaptistes.
Friedrich Engels revient également longuement sur les soulèvement qui ont précédé, pratiquement sans interruption, depuis celui initié par Jean le Joueur de Fifre, dans la vallée de la Tauber en 1476, afin d’établir une espèce de généalogie. La répression demeura féroce avec une grande constance, mais la ruse, la trahison de la parole donnée par lesquelles les nobles et les princes se distinguèrent, constituaient leur arme la plus puissante contre les paysans dispersés et désorganisés. Il raconte en détail le déroulement de « la plus grandiose tentative révolutionnaire du peuple allemand » qui embrasa simultanément la plupart des régions du pays, jusqu’à la « défaite honteuse » et la mise à mort de Müntzer.

On ne peut mieux dire qu’Éric Vuillard dans sa préface : « L'écriture, le ton, la langue abrupte d'Engels, sa clarté exemplaire, forment un nouveau rapport au lecteur, au monde, à la pensée. Son savoir est élaboré mais égalitaire, son écriture est savante mais adressée à tous. »

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


LA GUERRE DES PAYSANS EN ALLEMAGNE
Friedrich Engels
Traduction d’Émile Bottigelli
Introduction de Rachel Renault
Préface d’Éric Vuillard
220 pages – 15 euros
Éditions Sociales – Paris – Avril 2021
editionssociales.fr/catalogue/la-guerre-des-paysans-en-allemagne/
Initialement paru dans les numéros 5 et 6 de la Neue Rheinische Zeitung. Politisch-ökonomische Revue, Hambourg, 1850.

 

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