Alors qu'il est présenté comme un outil de « régulation démocratique », capable d'exaucer les vœux des lycéens, Parcoursup les initie avant tout à la violence managériale et algorithmique et à une sélection qui ne dit pas son nom et dissimule la carence de l'État dans la construction de nouvelles facs et l'ouverture de nouveaux postes en réponse aux poussées démographiques. Il s'agit avant tout d'imposer le privé comme modèle, contre l'école publique. Enseignant au lycée et à l’université, Johan Faerber explore « la mécanique algorithmique » de ce projet politique, de cette « machine rhétorique visant à confisquer la question sociale dans le débat public. »
Il analyse le déploiement en trois phases distinctes de la « fable réparatrice » chargée de présenter Parcoursup comme une solution miracle qui allait permettre de conjurer les injustices commises par l‘ancien portail d'entrée dans le supérieur, APB, en assurant que celle-ci reposait sur un recours massif au tirage au sort (alors que n’était concernée que les filières en tension : métiers de la santé et STAPS), mensonge qui dissimule déjà le manque de moyens, de personnels et de places. En vérité, « Parcoursup n'est pas un outil correctif mais un outil coercitif – et la poursuite de l'humiliation de Mantes-la-Jolie par d'autres moyens. » Pour avoir refusé de mener une politique ambitieuse de l'enseignement supérieur, pendant plus de vingt ans, l’État, avec Parcoursup, va réduire l'accès à des places limitées. Afin de recouvrir le mot tabou de « sélection », il sera question de « mérite » : « Le mérite, c'est la sélection sans le dire. »
Johan Faerber montre ensuite comment « Parcoursup cherche à tout prix l'anesthésie sociale. » Un à un, il démonte les mensonges d’une propagande soutenue par nombre d’éditorialistes. Pourtant, en quatre ans, Parcoursup est devenu « un terrifiant accélérateur d’inégalités sociales » et les universités de banlieue « des lieux de relégation scolaire ».
La fabrique du consentement passe par la lettre de motivation, « outil de “l’hégémonie culturelle du néolibéralisme“ », « superstructure discursive imposant, par écrit, la nécessité de la domination », « production perverse d'une obédience et d'une validation de l'ordre social ». Il faut désormais mériter des études qui étaient jusque-là un dû par l'obtention du bac. Il s'agit de rendre le lycéen responsable de son échec, par une personnalisation qui l’isole et le désocialise, alors que c'est bien l'État qui se défausse de ses responsabilités. « Parcoursup déguise la démission de l'État en mérite. » En 2022, 22,4 % des néobacheliers, soit 138 865, n’ont pas trouvé de place dans le supérieur ! « Cette initiation à la mécanique de la violence managériale impose Parcoursup comme une manière de préprofessionnalisation des élèves qui, paradoxalement, ne s'effectuerait que par l’humiliation. » L'angoisse est devenue, dans les sociétés post-industrielles, « un acteur social à part entière », « un outil affectuel de domination sinon de “sadisation“ ». « Le stress, c'est désormais l'algorithme social par excellence. » Johan Faerber montre également comment, dans la plus complète opacité, les moyennes sont coefficientées (en fonction du taux de mentions « très bien » dans le lycée d'origine par exemple), véritable « numérisation de préjugés de classe », entraînant une « discrimination géographique », « un traitement néocolonial des lycées de banlieue par l’algorithme ».
« Parcoursup constitue un véritable dressage » qui fabrique de la résignation et de la « fatalité de classe ». C'est le propre du management d'effacer toute distinction classique : « la lutte des classes a été dûment remplacée par la lutte des places ». Enfin, l’auteur accuse Parcoursup d’être devenu « une pièce maîtresse dans le “prof bashing“ », en dépossédant les enseignants du secondaire de toute autorité devant leurs élèves, et d’être avant tout « un produit d'appel vers l'enseignement privé » (quand on a de l’argent, on dispose d’un « ticket coupe-file »).
Johan Faerber confirme les doutes que nous pouvions légitimement avoir, et met à jour les rouages de cet outil de sélection sociale et le projet politique qui l’anime.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
PARLEZ-VOUS LE PARCOURSUP ?
Johan Faerber
60 pages – 4,50 euros
Éditions du Seuil – Collection « Libelle » – Paris – Janvier 2023
www.seuil.com/ouvrage/parlez-vous-le-parcoursup-johan-faerber/9782021525977
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