17 juillet 2023

TÊTES HAUTES

Angèle, jeune Penn sardin, monte à Paris pour travailler comme bonne dans la famille de Carol et Suzanne, deux jeunes filles émancipées. Sa soeur Yarig reste à Douarnenez, où la grève couve dans les vingt-et-une sardineries, en cette fin d’année 1924.


Les horaires de travail à l’usine sont fonction de l’arrivée des bateaux, car les poissons ne peuvent pas attendre, faute de système de refroidissement. Rentrées chez elles au milieu de la nuit, elles sont souvent rappelées quelques heures plus tard. Plus d’une a commencé avant 13 ans, l’âge légal. Le climat social est propice à de nombreux échanges au sujet de ces conditions sociales.
À Paris, les bonnes ne sont pas mieux loties. Si, elles ont un toit, l’eau courante et la lumière, elles sont rarement payées : une fois le billet de train aller remboursé, toutes sortes de retenues et d’amendes viennent retarder leur première paye. Et les horaires sont tout aussi éreintants. Angèle s’y fait, elle encaisse la fatigue, le mépris et les moqueries incessantes. « Elle a hérité de son père, originaire de l’île d’Ouessant, un corps charpenté, aussi lourd que celui d'un cheval de labour. Sérieuse, entêtée, toujours un peu inquiète… trop sérieuse. Trop soumise, sûrement. »
Carol et Suzanne vivent avec Irina, leur mère, veuve, immigrée russe qui s’est remariée avec Pierre-Guillaume, une brute réactionnaire qui « fait partie de ces hommes obtus et très attachés aux traditions », et qu’elle supporte pour assurer un certain confort à ses filles. Les deux soeurs sortent à Montparnasse, dans les lieux à la mode. La première s’habille en homme et la seconde prend (trop !) régulièrement de l’opium, quand elle ne s’enivre pas d’alcool plus que de raison. Carol confronte sa mère à propos de la décision prise lors de sa naissance, de ne pas « “rectifier“ la nature », de la laisser
« inter sexuée » (plutôt qu’hermaphrodite) au lieu de la charcuter et de choisir à sa place. Médecin mariée à un chirurgien cela leur eut pourtant été facile. Ils ont décidé de respecter le corps de leur enfant même s’il n‘était pas tout à fait « normal ».

Cathy Ytak brosse le portrait de jeunes femmes émancipées, chacune à leur manière, dans les années 1920. Leurs histoires se croisent et se rejoignent sur fond de grève des sardinières. Même si celle-ci occupe une place très importante, elle sert surtout de décors et de prétextes à réflexions, toujours fort subtilement amenées. Plus qu’un simple roman historique, elle développe une véritable intrigue, avec des personnages consistants, interroge sous tous ses aspects la condition féminine (dans la famille, au travail, face au mariage en cette période particulière après l’hécatombe d’hommes pendant la Grande guerre, dans la société, à l’université…) et aborde une question de genre rarement – si ce n’est jamais – évoquée dans la littérature jeunesse.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

TÊTES HAUTES
Cathy Ytak
352 pages – 17 euros
Éditions Talents haut – Collection « Les Héroïques » – Vincennes – Mai 2023
www.talentshauts.fr/les-heroiques/407-tetes-hautes-9782362665387.html
À partir de 15 ans ?

 

Voir aussi :

UNE BELLE GRÈVE DE FEMMES

 



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