19 août 2024

LE GRAND TROUPEAU

Fort de ses souvenirs (traumatisants) de la Première Guerre mondial, Jean Giono raconte la (sur)vie de soldats partis au front et celle de leurs familles restées au village.


La description introductive de la descente à marche forcée d’un troupeau de l’alpage, immense, interminable, dans une puissante « odeur de laine, de sueur et de terre écrasée », annonce celle de la mobilisation qui conduit toute une génération d’hommes au front. L’intention métaphorique du titre trahit le pacifisme de l’auteur, qu’un cri du coeur, lors de l’ultime bataille viendra confirmer : « À l’abattoir ! », et comme d’ailleurs l’essentiel des tableaux. Car, rien n’est épargné au lecteur, ni la mort des compagnons, ni les blessures « spectaculaires », ni les conditions dégradantes, ni la déchéance morale, ni les mutilations volontaires. En alternance, des scènes de la vie quotidienne dans les hameaux sont aussi rapportées, avec l’attente, et son lot de frustrations, des femmes restées à la ferme où elles tentent d’assurer les travaux des champs, avec leurs désirs impossibles à assouvir, avec l’angoisse terrible lorsque les lettres n’arrivent plus, avec les « veillées à corps absent », avec les réquisitions arbitraires. « Je comprends, je comprends bien, je comprends trop : la guerre ! Moi, je te dis non, et c’est non ! Alors les hommes ; alors le blé ; alors les moutons ; alors les chevaux, les chèvres, tout alors, il lui faut tout ! (…) Le fils, notre cheval, le blé, maintenant les chèvres. Dites, vous nous laissez les yeux pour pleurer ? Vous nous les laissez, au moins, parce qu’ils vont nous faire besoin. Mais, qui commande, dans tout ça ? Où est le fou qui commande ? »

Une naissance va venir rappeler combien la vie demeure, envers et contre tout, primordiale.

Avec sa langue charnelle et expressionniste, Giono brosse un portrait sans concession de la guerre et de ses conséquences : c’est tout l’équilibre de la vie en harmonie avec les cycles de la nature – son sujet de prédilection – qui est brisé, jusque dans ses fondements mêmes.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


LE GRAND TROUPEAU
Jean Giono
Éditions Le Livre de poche – Paris – Janvier 1965
Édition Folio – Paris – mai 1972
256 pages – 8,30 euros
Première édition : Gallimard, 1931



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