29 août 2024

LA BELLE DE MAI

Marseille. 1887. Les employées de la Manufacture des tabacs de la rue bleue, immigrées italiennes pour la plupart, déclenchent une grève sur le tas… « comme des hommes ».
Bien que leur usine ait été mise « aux normes des conditions de travail modernes » par l’État, qui dispose du monopole sur les tabacs, afin d’éviter qu’elles ne partent dans le privé, brimades, humiliations et harcèlement, locaux ni chauffés (en hiver) ni aérés (en été), paie indigne, restent leur lot quotidien. « Nos corps ne sont pas des ateliers », clament-elles.
Quinze ans après la Commune – de Marseille, pendant laquelle l’Hôtel de ville est resté occupé par le Comité révolutionnaire plusieurs semaines –, sans syndicat – « c’est quoi, sin-di-ké ? » –, elles s’organisent, élaborent une liste de revendications et occupent l’ensemble des ateliers. Le soutien d’une partie de la presse locale sera déterminant pour populariser leur mouvement, recueillir des soutiens et des fonds qui leur permettront de tenir.
L’histoire méconnue de cette lutte victorieuse devait être racontée d’autant qu’elle « a ébranlé tout le monde : l'État, les institutions, les hommes, les maris, mais aussi le milieu ouvrier et le monde syndical, qui n'étaient pas prêts à voir les femmes débarquer avec leurs revendications propres ».
Avec son utilisation mesurée mais éclatante de la couleur bleu – proche de celle des paquets de Gitanes sans filtre ? – dans cette bande dessinée toute en noir et blanc, pour mettre en évidence certains éléments « perturbateurs » (le mistral qui s’engouffre dans les bâtiments, un rêve, un cadeau qui permet une pause un peu plus longue,…), un élément de décors ou une scène clé, Élodie Durand a parfaitement transcrit cette intrusion dans l’ordre établi. Avec Mathilde Ramadier, autrice du scénario qui passe par l’incarnation pour raconter, avec beaucoup de talent et d’empathie,  le combat de plusieurs centaines de femmes, elles ont souhaité relier absolument cette histoire passée au présent en dédiant leur livre « aux femmes de chambre de l’Ibis Batignolles. Et à toutes les autres, qui œuvrent dans l’ombre. » Avec cet album, elles contribuent à la construction collective de la mémoire des luttes. Ainsi leur mot d’ordre continuera de nous animer : « En fait, il y a une solution. On va faire grève. »

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


LA BELLE DE MAI
Fabrique de révolutions
Mathilde Ramadier et Élodie Durand
144 pages – 22 euros
Éditions Futuropolis – Paris – Août 2023
www.futuropolis.fr/9782754834391/la-belle-de-mai.html


Voir aussi :

UNE BELLE GRÈVE DE FEMMES



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