16 février 2025

EXTINCTION

« La vie sur cette Terre est en train d’être liquidée à une vitesse jamais atteinte auparavant. » Toutefois, l’auteur-activiste sud africain, installé aux États-Unis, Ashley Dawson, conteste la datation commune du début de l’anthropocène au commencement de la révolution industrielle. Il montre également que la sixième extinction en cours n’est pas imputable à la nature humaine, récit « extrêmement raciste et remarquablement anhistorique », mais à l’expansion de l’emprise du capital. Il apporte une sévère critique des différentes politiques de conservation et propose (rapidement) quelques solutions.


Au Pléistocène, la Terre était encore peuplée d’une grande variété d’animaux aux dimensions spectaculaires : la mégafaune. Au fur et à mesure qu’il se répandait sur la planète, Homo sapiens l’a décimé. Seule l’Afrique abrite encore des restes de cette biodiversité.

L’actuelle vague d’extinction, la sixième, est « le produit d'une attaque globale contre les biens communs ». Pour se développer et répondre à son besoin de croissance exponentiel et continu, le capital « marchandise de plus en plus la planète, dépouillant le monde de sa diversité et de sa fécondité ».

La notion d’anthropocène a été utilisée pour la première fois en 2000 par le chimiste et météorologue Paul J. Crutzen pour désigner « l'impact de l'humanité sur l'atmosphère terrestre », décisif au point de déterminer une nouvelle ère géologique. Il date son commencement à la fin du XVIIIè siècle, lorsque la révolution industrielle a commencé à relâcher à grande échelle du CO2 dans l’atmosphère. Mais selon Franz Broswimmer, le développement du langage et de l’intentionnalité consciente, il y a environ 60 000 ans, a provoqué un « grand bon en avant » culturel et technologique, modifiant notre rapport à la nature, en devenant « des tueurs très efficaces ». En même temps qu’elle se répandait sur l’ensemble de la planète, l’humanité connaissait un boom démographique, passant de quelques millions de personnes il y a 50 000 ans à environ 150 millions en 2 000 avant notre ère. La disparition de la mégafaune a y lieu partout au moment de l’arrivée des hommes préhistoriques. Le « principe de filtration » illustre la fragilité des espèces non familiarisées avec l’homme. Ainsi en Afrique sub-saharienne, seules 5% ont disparu. Pour répondre à la crise alimentaire, les chasseurs-cueilleurs ont été contraint de se sédentariser : la révolution néolithique conduisit à une explosion démographique. L’émergence des cités-États, avec « une combinaison de militarisme, de corruption des élites et d’expansionnisme impérial », augmente la pression écologique : l’épopée de Gilgamesh (1 800 av. J.-C.) raconte l’épuisement des ressources en bois par l’Empire sumérien. Les déserts qui s’étendent sur une grande partie de l’Irak contemporain sont la trace de ces destructions. Au contraire, le système agricole égyptien connu une grande stabilité, du fait de la fertilisation naturelle de la vallée du Nil, avec un minimum d’interventions humaines, jusqu’à l’édification de barrages par les Britanniques au XIXè siècle qui régulèrent les crues mais nécessitèrent l’utilisation intensive d’engrais artificiels dérivés du pétrole sur les cultures de coton. Pour fournir leur pain quotidien aux citoyens de Rome et les exempter de taxes, l’empire romain organisa le pillage d’une importante partie du monde antique, dont les conditions arides témoignent aujourd'hui de « cette approche imprévoyante et destructrice de l'environnement ». Et pour assurer la fameuse combinaison panem et circenses, de grands animaux sauvages étaient massacrés dans les arènes publiques. « L'apogée impériale, vit l’épanouissement des philosophie stoïcienne et épicurienne, qui légitimaient la débauche des classes supérieures romaines. » Puis, d’après la tradition chrétienne, Dieu a accordé aux humains la domination absolue sur le monde qu’il a créé.


Mais « ce n’est qu’avec l'expansion européenne et le développement du capitalisme moderne que l’écocide a pris une dimension réellement mondiale, détruisant l’ensemble de la planète ». Ashley Dawson revient sur le commerce des fourrures, au XVIè siècle, sur le système de la plantation, sur l’asservissement des femmes, l’industrie de la pêche à la baleine. Il explique que l’abolition de l’esclavage par la couronne britannique en 1833, fut plus une réaction au déclin de la productivité en raison de la dessiccation qu’un acte humaniste. Il faudra attendre le XIXè siècle pour que soit remis en question le rôle de la science dans la légitimisation du colonialisme, dans la maîtrise d’une nature passive et féminisée : « L'objectivité et la neutralité de la méthode scientifique ont contribué, comme doctrine, à masquer le caractère potentiellement écocidaire, patriarcal et raciste de la technoscience. » « La logique du capital apparaît donc comparable à celle d'une tumeur cancéreuse, se développant de manière incontrôlée jusqu'à détruire le corps qui l’héberge. » La Richesse des nation d’Adam Smith, paru en 1776, est l’illustration de « la folie des doctrines économiques » : aveuglement face à la finitude et encouragement à transformer aussi vite que possible les ressources terrestres en capital afin d’augmenter les profits et la croissance. « L'économie classique, telle qu'elle fut formulée par Adam Smith et telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui, célèbre des valeurs – l’égoïsme, la gloutonnerie, la compétitivité et la myopie – qui était autre fois considérées comme des péchés capitaux et, ce faisant, fournit une justification intellectuelle au pillage désastreux de la planète par le capitalisme. » Dans certains cas, comme la destruction des troupeaux de bisons en Amérique du Nord ou l’épandage de pesticides sur les forêts tropicales du Vietnam, l’écocide est « une stratégie consciente de l'impérialisme », « une guerre écologique ». L’impasse des négociations climatiques est inévitable dans un systèmes de nations capitalistes en concurrence, où chacun est poussé à fuir ses responsabilités. « La solution du capitalisme aux crises systémiques périodiques est d’initier de nouveaux cycles d'accumulation. Le capital essaye essentiellement de croître à partir des problèmes qu'il engendre. » Il ne pourra jamais résoudre la crise environnementale qu’il engendre.


Après cette longue et claire analyse systémique, Ashley Dawson dénonce un certain nombre de politiques de conservation qu’il juge apparentées au néocolonialisme, notamment parce qu’elles dépossèdent systématiquement les populations indigènes de leurs terres. Il reprend à son compte les critiques et les propositions du Manifeste populaire pour l’avenir de la conservation. « Bien que les peuples indigènes ne représentent que 5 % de la population mondiale, il protège 80 % de la biodiversité planétaire. »

En 1962, il existait 1 000 aires protégées officielles. Aujourd’hui, elles sont 108 000, pourtant les taux d’extinction continuent d’augmenter. « En soutenant la création de ces aires protégées, les capitalistes donnent l'impression de s'attaquer à la crise climatique tout en détournant l'attention des conditions qu’ils continuent d'infliger à l'environnement. » Ainsi Total s’est engagée à planter une forêt de 40 000 hectares en République démocratique du Congo juste après l’acquisition d’un permis de fouille pétrolière dans une zone d’1,5 million d’hectare dans ce même pays. En vérité, les acacias promis, espèce à croissance rapide, seraient exploités par des usines de transformation construites à l’occasion dans la région : l’opération ne serait qu’une exploitation intensive supplémentaire. Le Manifeste appelle à la « décroissance du Nord global » : « Les omnivores du monde entier doivent changer leur mode de vie. Si le monde veut éviter l'effondrement des écosystèmes, les riches des principaux pays capitalistes, mais aussi les riches des pays du Sud, doivent réduire leur consommation et apprendre à subsister avec des ressources issues principalement des biorégions dans lesquelles ils vivent. »


Ashley Dawson dénonce ensuite plus précisément « la faillite stratégique de l'approche conservationniste », la nostalgie d’un monde nature vierge des partisans du réensauvagement, notamment de type pléistocène, et de la désextinction, qui s’inscrit dans le cadre du biocapitalisme. Il préconise plutôt « un mouvement de conservation anticapitaliste radical » et défend le principe d’un « revenu universel garanti » pour les habitants des vingt-cinq « points chauds » recensés où la biodiversité est particulièrement menacée, financé par une taxe sur les transactions financières. Il s’agit également de « renverser notre système expansionniste actuel en encourageant la décroissance ». Il reconnait toutefois que des « telles mesures révolutionnaires » ne sont actuellement pas admissibles « puisque la plupart des médias, des partis politiques et du pouvoir répressif de l'État sont entre les mains des ploutocrates ».


Si les solutions qu’il propose peuvent donc sembler naïves, le bilan qu’établit Ashley Dawson, notamment quand à la responsabilité du capitalisme, demeure parfaitement pertinent.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



EXTINCTION

Une histoire radicale

Ashley Dawson

Traduit de l’anglais par Marcus Heide

160 pages – 14 euros

Éditions La Tempête – Bordeaux – Octobre 2024

editionslatempete.com/produit/extinction

Titre original : Extinction, A Radical History, OR Books LLC, New-York, 2016



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