Confrontés aux limites des idéologies et des grilles d’analyses dont ils ont hérités, ils se revendiquent de l’internationalisme. Faute d’identifier un « sujet révolutionnaire mondial », ils se réclament des marges : « Être en marge, c'est faire partie du tout, mais en dehors. » Aucun segment des marges n’est cependant capable à lui seul de remporter de victoire, c’est pourquoi, par-delà leurs contradictions, les dissident·es du centre et les différentes parties des marges doivent s’unir : « Le soulèvement brise le peuple figé construit par les romans nationaux, les idéologies fascisantes et les dogmatisme militants. Par leurs rappels à l'unité, les marges insurgées ont souvent tenté de réinventer un peuple à leur mesure. » Du Soudan à la France (où la jeunesse des quartiers populaires n’a pas été rejointe, en 2005 ni en 2023), en passant par le Chili et l’Algérie, des nombreux exemples illustrent à chaque fois leur propos.
Si les soulèvements parviennent parfois à fracturer la légitimité du pouvoir en place, aucun n’a réussi à empêcher « le retour à l’ordre établi ou l’arrivée du pire ». Des opportunistes se précipitent bien souvent pour négocier « l’issue politique » du mouvement, c’est-à-dire la fin de la révolte. « Politicien·nes et bourgeois·es, de droite comme de gauche, préféreront toujours accepter un changement cosmétique et quelques concessions pour conjurer l’avènement d'une révolution qui menacerait réellement leur pouvoir et leur richesse. Pour empêcher une révolution profonde. » Horizontalement, indépendamment des partis, de nouvelles formes d’organisation populaire adaptées aux besoins de chaque révolte, ont émergées : il s’agissait d’organiser la vie quotidienne en même temps que l’offensive. Sans aller jusqu’à l’auto-administration des villes, des hôpitaux, des centrales électriques,… en plus de la distribution alimentaire, par les insurgées syrien·nes, bien souvent a été faite « la démonstrations en acte que, même sous les bombes et pendant les sièges, coupé du monde, faisant face à une impitoyable répression, le peuple était capable de prendre les choses en main. » « Ce que certain·es ont trop vite qualifié de défaite, nous le vivons comme la naissance d'un mouvement mondial de révolte pour la dignité. »
« Les soulèvements ont renvoyé tous les régimes, quels qu'ils soient, à leur inadéquation radicale avec les aspirations populaires. Et au risque qu'ils encourent. Incapables de raviver la foi dans leur projet moribond, les pouvoirs n’ont trouvé d'autre réponse à la colère que la terreur. » La répression réactionnaire, contre-révolutionnaire, voire fasciste est analysée. Elle utilise bien souvent l’urgence comme une manœuvre pour soumettre l’adversaire à son propre agenda.
Nombre de révolutionnaires subissent l’exil, confrontés aux politiques xénophobes, au paternalisme condescendant mais aussi aux élans de solidarité.
Faute de réelle solidarité populaire internationale, les révolutionnaires sont condamnés à solliciter le soutien de puissances étrangères. L’entraide « implique la prise en compte du combat de l'autre comme faisant partie du nôtre et inversement ». Elle peut être évidemment matérielle, mais doit aussi contribuer à déjouer l’indifférence du monde en relayant les voix et les informations « à travers les mailles du filet médiatique et du bruit de fond des canaux de communication contre-révolutionnaire ». Il s’agit d’ « étendre la minga à l’échelle planétaire », de se penser comme partie d'un maillage planétaire de résistance et de soulèvement, afin de n'être pas réduit à une dimension « alternative », culturelle, économique ou sociale.
La logique binaire d’une partie de la « gauche anti-impérialiste » est dénoncée : « Considérer les pays occidentaux comme les seules puissances impérialistes, les États-Unis comme LA source de tous les maux, biais caractéristique de ses positions “campiste“, les amènent à relativiser les crimes des régimes syrien, russe, chinois ou iranien. »
L’universalisme libéral, « escroquerie intellectuelle » qui considère, certes les droits humains comme inaliénables, mais les refuse au plus grand nombre, est « le rival apolitique de l’internationalisme ». Et les appels à l’intervention militaire pour contrer le déchaînement de la répression, pose forcément question : « Le fait que nous ranger derrière les capacités militaires de certains États, ou factions armées nous apparaissent comme la seule manière concrète de contribuer à la lutte est avant tout la marque de notre résignation. De notre abandon de la possibilité même de la révolution. »
Au siècle dernier, une génération entière s’est levée à travers le monde pour chasser les puissances européennes d'une grande partie des territoires colonisés, mais la domination s'est poursuivie sous d'autres formes. De même, la fin des États ne peut être un horizon suffisant, tant beaucoup ne sont que la façade de mafias, d’entreprises transnationales ou de milices confessionnelles, à laquelle est déléguée la répression des populations. Seule la prise en main collectées de nos besoins élémentaires nous libérera de leur dépendance. C’est pourquoi la révolution ne doit plus être pensée comme « un évènement majeur qui fait bifurquer le cours de l’histoire », mais comme « une manière de vivre et de lutter ici et maintenant », la construction d’une autonomie matérielle et politique, de formes d’autosubsistance collectives ou territoriales. Toutefois, « le soulèvement rompt l’isolement. Il permet des sauts d’échelle immenses, débouche sur des rencontres inédites et constitue des moments d’offensive de masse, indispensables pour produire des points de bascule et des changements irréversibles. » Il s’agit de gagner en puissance en reliant différents foyers de lutte qui défient le statu quo, tout en restant en dehors des institutions, ce qui n’est ni un objectif ni une question de principe.
Aucune question n’est tabou : « Le recours à la lutte armée est rarement un choix stratégique. C'est le niveau de violence de l'État qui détermine si et quand les révolutionnaires sont contraint·es de prendre les armes. »
Cet éloge du « pouvoir populaire » par la construction d’un réseau et d’une culture révolutionnaires transnationaux, plus proche de la recherche expérimentale que de la théorie, est à la fois un manifeste en acte et un témoignage en pratique. Concret, pragmatique et réaliste.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
RÉVOLUTIONS DE NOTRE TEMPS
Manifeste internationaliste
Les Peuples Veulent
118 pages – 15,50 euros
Éditions Zones – Paris – Mars 2025
www.editionsladecouverte.fr/revolutions_de_notre_temps-9782355222368
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