Établissant un parallèle entre la destruction de Gaza et les ravages du réchauffement climatique, Andreas Malm remonte à l’origine de l’impérialisme fossile : la destruction de Saint-Jean-d’Acre par la flotte à vapeur anglaise en 1840.
Dans ce texte, retranscription d’une conférence prononcée à l’université américaine de Beyrouth en avril 2024, six mois après le commencement de l’anéantissement méthodique de Gaza et de ses habitants. Il est suivi des réponses aux objections suscitées par sa publication initiale en ligne.
L’auteur dénonce la complicité des États-Unis, du Royaume-Uni et de la plupart des États de l’Union européenne dans ce « carnage », ce « premier génocide du capitalisme tardif », avec l’envoi d’armes à Israël. Il cherche à établir une équivalence avec les phénomènes climatiques extrêmes engendrés par le dérèglement climatique, par exemple la tempête Daniel qui a frappé la Libye en septembre 2023, tuant 11 300 personnes, qu’il désigne comme « tuerie de masse ». Il soutient que « les pertes humaines massives sont […] le résultat idéologiquement et mentalement intégré, et de fait accepté, de l'accumulation du capital » et considère que « le destin de cette planète » a été modifié en 1840 par la Grande-Bretagne, avec sa première utilisation des bateaux à vapeur, « entraînant l’humanité dans la spirale de la combustion fossile ». En guerre contre Méhémet Ali, le pacha d’Égypte qui menaçait l’Empire britannique, la Royal Navy bombarde Beyrouth à la fin de l’été, puis Acre, la fameuse forteresse qui avait tenu six mois contre Napoléon, en novembre, la transformant en un tas de gravas. Ali était incapable de rivaliser, ne disposant pas de réserves de charbon. Andreas Malm explique que, dans le cadre d’un plan global de contrôle de la région, la Grande-Bretagne propose à ce moment-là, la colonisation par des Juifs de la Palestine. « Cinquante-sept ans avant le premier congrès sioniste, soixante-dix ans avant la déclaration de Balfour, 107 ans avant le plan de partage. » Il rappelle que le pays avait connu dans les années 1830, « une vague de sionisme chrétien », dans lequel les Juifs au Proche-Orient ou ailleurs n’ont joué « aucun rôle actif ». Il rapporte des déclarations qui témoignent en effet de ce « sionisme impérial » mais aussi d’un certain agacement face au désir des Juifs de rester là où ils vivent. « Avant d’être juif, le sionisme a été impérial. »
Quand l’Empire britannique occupe la Palestine et met en œuvre la déclaration de Balfour, des gisements prometteurs de pétrole sont découverts dans les pays riverains du golfe Persique et « le projet industriel central du Mandat britannique sur la Palestine se trouve être le pipeline » qui traverse, depuis l’Irak, le Nord de la Cisjordanie et la Galilée, jusqu’à la raffinerie d’Haïfa. Les compagnies pétrolières états-uniennes comptent sur leur alliance avec Israël pour contrôler les gisements. Après 1967, la préoccupation de la défense de ce statu quo, motivera le soutien des États-Unis à Israël. La découverte récente de grands champs gaziers dans le bassin du Levantin, qui va de Beyrouth à Gaza, ne fait que prolonger cette imbrication des intérêts fossiles avec le génocide en cours.
Andreas Malm conteste la « théorie manipulationniste du lobby » sioniste selon lequel les Juifs « dirigeraient » les États-Unis.
L’attaque du 7 octobre, que Malm nomme « opération Tufan al-Aqsa », est un exemple rare de « renversement brutal d’une asymétrie […] radicale », qui a pu être comparée à l’offensive du Têt, bien que le Vietcong fut alors une force militaire bien mieux équipée que « la résistance palestinienne ». C’est pourquoi les États-Unis, ne pouvant accepter l’humiliation de leur propre appareil militaire, partageaient « l’impératif de restaurer la dissuasion » avec Israël.
Il s’en prend à deux reprises à « la gauche » occidentale, lui reprochant son adhésion à « la théorie du lobby », puis de ne pas « soutenir clairement et sans ambiguïté la lutte palestinienne pour l’auto-émancipation ».
Il y a toujours, dans les ouvrages d’Andreas Malm, une partie intéressante dans laquelle il propose une analyse souvent originale, comme ici avec son exposé historique, puis des points de vue pour le moins discutables, comme sa proposition de « léninisme écologique » dans Comment saboter un pipeline. Dans ses « réponses à certaines objections sur la résistance » qui suivent le texte de sa conférence, il présente la diversité des « factions qui combattent ensemble », « une vraie gauche organisée présente sur les lignes du combat central contre l’empire en ce moment historique », et leurs soutiens extérieurs, l’Iran et le Qatar. Son refus de discernement au nom de l’unité – notamment sa « défense » du Hamas – interrogera sans aucun doute, de même que sa justification de l’usage de la violence contre les civils pourra susciter un certain malaise. Il cite Mandela et Fanon, rappelle l’aura de la révolution haïtienne, malgré les massacres de blancs. Si ces arguments sont intéressants, il simplifie toutefois son propos plutôt que d’introduire de la nuance et d’affronter la complexité : ne peut-on commémorer un acte d’émancipation tout en dénonçant certains pratiques ? Non pas refuser la violence en général au nom d’un principe moral, l’accepter dans certaines circonstances, tout en épargnant les populations civiles. Son approche délibérément manichéenne ne semble pas rendre compte des réalités.
Un ouvrage qui suscitera assurément de vifs débats.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
POUR LA PALESTINE
Les ravages de l’impérialisme fossile
Andreas Malm
Traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque
168 pages – 14 euros
La Fabrique éditions – Paris – Février 2025
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