9 avril 2025

TU VIENS D’OÙ ?

« Alors que les États-nations et leurs dirigeants créent toujours plus de divisions entre ceux qui se sentent chez eux et ceux qu'on désigne comme des étrangers, beaucoup habitent une sorte d'espace frontalier, parce qu'ils sont nés de parents immigrants, parce que leurs parents sont culturellement, socialement ou racialement différents, ou parce qu'ils se définissent comme n’étant ni d’ici ni d'ailleurs. » Maïka Sondarjee est issue d’une famille malgache d’origine indienne et d’une union québécoises entre un bûcheron de Bromptonville et une femme de ménage de Stoke. Elle raconte son histoire et celle d’autres personnes rencontrées dont « la peau est une mosaïque ».

Elle passe également en revue la terminologie généralement utilisée :

  • « Métisse », qu’elle employait en réponse aux professeurs qui butaient sur son nom, porte à confusion au Canada en raison de la Nation Métis.
  • « Mulâtre », qui renvoie à la mule, voire « sang-mêlé ».
  • « Biracial », qui simplifie la complexité de ses origines.
  • « Multiracial », traduction boiteuse de mixed-race, renvoie au moins à la multiplicité, même s’il se réfère « au problématique mot “race“ ».
  • « Mixte », qu’elle emploie aujourd’hui, vient du latin miscere, mêler ou mélanger. « La mixité repose souvent sur un héritage de hiérarchies raciales où le phénotype (composition physique) s'ajoute ou se soustrait au génotype (composition génétique), mais aussi de hiérarchies coloniales entre personnes dont les ancêtres ont colonisé et d'autres dont les ancêtres ont été colonisés. Toutefois, on peut être mixte sans être directement lié à l'histoire coloniale ou même en étant issu de l’union de deux personnes blanches, mais de cultures différentes. »

Il n’y a pas de case, dans le recensement, pour l’hybridité, même si depuis 2000, aux États-Unis, et grâce au travail de militants, il est possible de sélectionnerplus d’une identité ethnoculturelle.

À l’instar d’Édouard Glisssant et de Patrick Chamoiseau qui considèrent que « la créolité des êtres participe à l’émergence d’une nouvelle conscience », Maïka Sondarjee soutient que « la pensée frontalière, ou l'imaginaire qui vient de la mixité, permet aussi de concevoir une société où les frontières formelles sont plus poreuses ».

Elle revient sur l’évolution de la législation vis-à-vis de la mixité aux États-Unis, depuis l’interdiction pure et simple, et sur celle des perceptions du métissage en Europe, depuis les théories reposant sur la hiérarchie des races en vogue au XIXe siècle, jusqu’à la célébration du « multiculturalisme libéral » qui l’idéalise alors qu’il défend surtout l’assimilation du groupe minoritaire.

L’expression « passer pour blanc » (white passing) qui désigna longtemps les gens qui voulaient échapper au racisme et à la ségrégation en se blanchissant volontairement, est utilisée aujourd’hui pour « souligner le caractère non intentionnel de cette apparence ». Les personnes mixtes pratiquent parfois le « code switching ». Elles s’adaptent en fonction du contexte. Elle ne se réclame pas d’une « Terre sans frontière » mais croient que la coexistence entre plusieurs mondes, plusieurs cultures, de manière non hiérarchique, est possible. 

La mixité va au-delà de l’identité, en élaborant une pensée qui abat les frontières qui délimitent ce qui est légitime ou pas. « La pensée frontalière nourrit une imagination à contre-courant de la construction et du renforcement de murs qui excluent certains corps de l'accès aux droits fondamentaux. »


Intéressant témoignage qui propose une conception du monde par delà les frontières.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



TU VIENS D’OÙ ?

Réflexions sur le métissage et les frontières

Maïka Sondarjee

Préface de Noémi Mercier

136 pages – 14 euros

Éditions Lux – Montréal – Janvier 2025

luxediteur.com/catalogue/tu-viens-dou/



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