« La France est un paradis fiscal pour les milliardaires. » Professeur à l’École normale supérieure et directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité, Gabriel Zucman démontre qu’en violation flagrante de l’égalité devant l’impôt, les milliardaires contribuent beaucoup moins que les français moyens. Il présente les principes de la taxe qu’il propose pour y remédier et pourfend la malhonnêteté des arguments déployés pour s’y opposer.
Depuis la création de l’impôt sur le revenu, « immense progrès démocratique du début du XXe siècle », les milliardaires n’y ont jamais été assujettis. En effet, en 2024, sur les 2 440 milliards d’euros de revenu national (PIB moins la dépréciation du capital, plus les revenus nets perçus de l’étranger), l’État a prélevé 1 250 milliards d’euros en cotisations sociales, TVA, impôts sur le revenu et sur les sociétés, taxe foncière et autres impôts, ce qui correspond à un taux de prélèvement obligatoire moyen de 51%, variant de 45% pour les classes populaires à 50% pour les classes moyennes, et légèrement plus pour les 10% les plus riches, qui s’acquittent aussi de l’impôt sur les sociétés car possèdent des actions d’entreprise. « Le système fiscal apparaît très légèrement progressif, toutes les catégories sociales payant la moitié de leur revenu en impôt. » Toutes en payent donc beaucoup… sauf les milliardaires pour qui le taux de prélèvement obligatoire s’effondre à 25%. « Cet effondrement a une raison principale : la faillite de l'impôt sur le revenu, qui s'évapore littéralement au sommet de la pyramide des richesses, puisqu'il ne représente que 2 % du revenu des milliardaires », les autres taxes devenant négligeables à ce niveau de richesse ». Et l’impôt sur les sociétés dont s’acquittent les entreprises qu’ils possèdent et qui sont très internationalisées, est acquitté pour moitié à l’étranger. En réalité, la contribution des milliardaires aux finances publiques de la France ne s'élève qu'à 13 % seulement !
Ainsi, en 2016, les 75 foyers fiscaux les plus élevés se sont acquittés chacun, en moyenne, de 4 millions d’euros d’impôts (impôt sur le revenu + contribution exceptionnelle sur les hauts revenus + CSG-CRDS), ce qui représente à peine 2% de leurs revenus et environ 0,1% de leur patrimoine.
« Les actions de leurs entreprises constituent plus de 90 % de leur fortune et leurs bénéfices plus de 90 % de leurs revenus. » Or, avec la constitution de holdings, qui perçoivent les bénéfices à la place des personnes physiques, 95% de ces dividendes sont exonérés d'impôt sur les sociétés et les 5 % restants sont taxés à 25 %. Alors qu'un actionnaire lambda devra s'acquitter d'un impôt forfaitaire (« flat tax ») de 30 %, le milliardaire ne paiera que… 1,25 %.
Entre 1996 et 2024, la fortune des 500 plus riches familles françaises, selon le magazine Challenges, est passé de 80 milliards d'euros à… 1 228 milliards, de 6 % du PIB de l'époque à 42%. Ceci explique cela.
Gabriel Zucman réfute ensuite quelques arguments qui nient ce « constat d’un privilège fiscal des milliardaires » :
- En affirmant que les 10% les plus riches payent les trois quarts de l’impôt sur le revenu, on oublie 90% des prélèvements obligatoires.
- Si les milliardaires n’utilisent pas l’argent de leurs holdings c’est que celui-ci est en majorité épargné plutôt que consommé. Une consommation annuelle de 30 millions (ce qui est déjà pas mal) ne représente toujours qu’1% d’un revenu de 3 milliards.
« Dans tous les pays où les données sont disponibles, l'impôt sur le revenu s’évapore au sommet de la pyramide des richesses. » Surprise : aux États-Unis, le taux effectif d'impôt sur le revenu acquitté par les milliardaires s’élève à 9 %, contre 0 à 2 % en France, aux Pays-Bas, en Italie, au Brésil ou en Scandinavie. En 1933, le New York Times révèle que J.P. Morgane ne payait pas d'impôts sur le revenu. Le ministre des Finances, dénonçant l'utilisation de sociétés holdings, décida alors d'introduire une surtaxe prohibitive sur les revenus perçus par les holdings personnelles, toujours en vigueur.
Il présente enfin l’outil qu’il propose pour faire payer les milliardaires : l’impôt-plancher. Un taux minimum d’imposition qu’il fixe à 2%, pour les « personnes immensément fortunées », dont la richesse s’élève à 100 millions d’euros ou plus, ce qui correspond au niveau à partir duquel le système fiscal devient dégressif. Il s'agirait d'une « contribution différentielle » qui ne s'appliquerait que lorsque le montant d'impôts personnels déjà acquittés serait inférieur à 2 % de la fortune. Seule serait dûe la différence pour atteindre ce plancher de 2 %. Avec un taux de rendement sur la fortune de 6% par an en moyenne, cette contribution incompressible l’amputerait d'un tiers, soit l'équivalent d’un impôt sur le revenu de 33 %. Adoptée par l’Assemblée nationale française en février 2025, avant d’être rejetée par le Sénat, cette taxe aurait du toucher 1800 foyers fiscaux et rapporter 20 milliards d'euros par an.
Entre autres réfutations, il conteste la qualification de « biens professionnels » – « qui n'existe dans aucun manuel d'économie ». L’exil fiscal peut aisément être surmonté lui aussi, comme aux États-Unis où les citoyens sont taxés où qu'ils vivent dans le monde.
Limpide !
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LES MILLIARDAIRES NE PAIENT PAS D’IMPÔTS SUR LE REVENU ET NOUS ALLONS Y METTRE FIN
Gabriel Zucman
60 pages – 6,90 euros
Éditions du Seuil – Collection « Libelle » – Paris – Octobre 2022

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