6 novembre 2025

BASCULEMENT-MÈRE

Convoquant quelques figures littéraires ou mythologiques, d’Ophélie à Ariane, Irma Pelatan livre une « parole de l’intime » incantatoire et poétique, féministe et thérapeutique. Elle évoque les maternités et la libération de tous les « corsets », celui de son propre corps compris.


« La maternité, entendons-nous bien, sœurs : je ne veux pas dire le seul fait d'être mère, de corps et d’esprit, non. Je voudrais nommer la masse noire et mouvante qui va du récit qu’on te fait de ton corps, petite fille, à l'angoisse de la capote claquée. L'espace collectif qui va du pipi–bandelette mensuel qui obstinément dis PAS ENCEINTE au petit cercueil d'après l'accouchement thérapeutique ; l'espace qui va des douleurs de règles terrassantes, tant que tu voudrais tout couper, jusqu'à l'hystérectomie brutale, pouf d'un coup plus d'hormones. L'espace qui va de la petite pilule après le viol à la liste des maladies acceptables pour un enfant adopté : jusqu'où va ta maternité projeté ? bec-de-lièvre ? VIH ? trisomie ? » « Mère nullipare », elle raconte l’adoption d’une enfant marquisienne, à laquelle souvent elle s’adresse. « Mère chimère » dans une histoire de « maternité à plusieurs », selon les principes de l’adoption polynésienne.

Elle affronte ses peurs, « ces constantes peurs avec lesquelles nous vivons toutes, sœurs » : « Une fois pour toutes, je désobéis, je déprogramme les peurs apprises.

Je ne serai qu'aventure. »

Elle se confronte aux « récits brisés de larmes », faits d’effroi, de honte, de manque et de déception, « de corps qui mentent pour survivre » et cherche la force de briser ces verrous, « ce silence qui s’incarne, qui s’incruste ». « Cette longue colonisation de nos corps prendra fin, oui, un jour nous cesserons, sœurs, de nous inscrire dans cet imaginaire tellement féminin, cet imaginaire de la faute, de la honte taillée dans le corps des femmes, cette chose qui n'est pas dite, cette horrible marge, informulée, sur laquelle toute la société, toutes les sociétés tiennent. »




Pour échapper, un peu, à la pesanteur, Irma Pelatan a entièrement rédigé son texte dans l’eau, sur des carnets waterproof. Au-delà de la performance, l’intention rejoignant la contrainte, elle cherche aussi et surtout à déborder la fatalité, à rompre la transmission du « fatal fatum des femmes de [s]a famille » :

« Je préfère te transmettre

la force sans cesse renouvelée

d’un combat

plutôt que

la glace de l'effroi,

la puissance. » 

Car elle a compris dans l’eau qu’ « être fille est force, et le risque s’apprend ».


Elle utilise également un procédé littéraire qui simule le mouvement des vagues – en quelque sorte – puisque la dernière phrase de chaque bref chapitre est aussi la première du suivant. Puis, toutes ces introductives-conclusives viennent former un texte à part entière, « couronne » qui clos chacun des cinq carnets, constantes variations et retour du semblable.

Avec ce texte expérimental, Irma Pelatan déploie une parole profondément féministe, qui s’impose et interpelle par sa puissance.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



BASCULEMENT-MÈRE

Irma Pelatan

128 pages – 17 euros

Éditions La Contre-allée – Collection « La Sentinelle » – Lille – Mars 2025

lacontreallee.com/catalogue/basculement-mere/



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