Dans ce long
entretien, Ken Loach explique comment il pratique un cinéma politique pour
tenter de subvertir, créer du désordre et soulever des doutes.
Si certains films
hollywoodiens abordent aussi des sujets revendicatifs, eux utilisent
systématiquement des stars dans un souci de rentabilité et surtout ne remettent
jamais en cause les hiérarchies ni l’ordre établi.
Il nous présente sa
méthode, au service de son propos, utilisant l’objectif de sa caméra comme un
œil humain, pour voir le monde à travers les yeux de ses personnages. Il tourne
toujours les scènes de ses films dans l’ordre chronologique afin de permettre
aux comédiens de vivre réellement leurs personnages. Pour conserver leur
spontanéité il évite de les faire répéter et, au contraire, leur fait
travailler des scènes vécues par leurs personnages en dehors du temps du film, leur
constituant ainsi un vécu, des souvenirs. Si ses histoires sont souvent
anodines, elles révèlent le fonctionnement de la société, ses dérives, ses
inégalités. Pour lui, le tournage doit être un vrai travail d’équipe où tout le
monde sait ce qu’attend de lui le chef d’orchestre. Bien faire sa tâche chacun
dans son coin ne suffit pas. Pour cela, entre autre, il veille à ce que la
production ne rogne pas sur les salaires.
Ken Loach a commencé
à travailler à la B.B.C. dans les années 60. À cette époque, la production
n’imposait pas les acteurs, par exemple, comme c’est le cas maintenant. Dans
les années 80, l’arrivée de Margaret Thatcher fut un retour au XIXème siècle, à
un capitalisme brut. Ses films sont alors saisis et interdits, comme son documentaire
sur la grève des mineurs dans lequel il illustrait chansons et poèmes de lutte
avec des images de violences policières.
Avec Sweet Sixteen c’est le langage populaire
des jeunes qui se voit censuré, le film étant interdit au moins de 18 ans, empêchant
au public qui a précisément l’âge des personnages d’y accéder. Quant à ses
films sur le récit britannico-irlandais (Secret
défense puis Le vent se lève),
ils seront violemment discrédités car contredissent radicalement la version
officielle d’un conflit Catholiques contre Protestants, éludant complètement les
huit cents ans d’occupation et de domination. À cette occasion, un journaliste
du Times l’a même comparé à Leni
Riefenstahl ! Un autre l’accusera de faire l’apologie du terrorisme tout en
avouant ne pas avoir vu le film ! Plutôt que de répondre sur le terrain
des idées, les gouvernements et leurs médias s’en tiennent à traîner dans la
boue.
Le cinéma peut aussi
parfois changer les choses. Cathy Come
Home raconte l’histoire d’une famille disloquée parce que la municipalité
n’avait l’obligation de ne reloger que les mères et les enfants sans abris.
Après sa diffusion, sous la pression de l’émotion suscitée dans l’opinion
publique, la législation a changé. Mais à l’époque, en 1966, il n’y avait pas
encore cent chaines de télévision mais seulement deux, ce qui permit à 15
millions de téléspectateur de voir ce film. Peut-être qu’internet pourra
permettre de retrouver de telles audiences.
Cet opuscule ne
traite pas de la seule filmographie de Ken Loach, bien au contraire. Il résonne
comme un manifeste. Le cinéaste fait le point sur son dessein politique, son parcours
créatif au service d’une résistance. Il espère que l’art puisse être
l’étincelle qui déclenchera un changement radical de notre société. On aurait aimé
en apprendre davantage, qu’au-delà des quelques anecdotes rapportées l’homme
nous livre en détails son parcours qui reflète autant un demi-siècle de
l’histoire de la société anglaise que de l’évolution des moyens de s’opposer à
l’ordre dominant. Mais il s’agirait d’un autre livre dont celui-ci n’est que le
résumé. On aimerait aussi que l’éditeur donne la parole à d’autres cinéastes
politique, comme Robert Guédiguian notamment.
DÉFIER LE RÉCIT DES PUISSANTS.
Ken Loach
50 pages – 5 euros
Éditions Indigène –
Collection « Ceux qui marchent contre le vent » – Montpellier – juin
2014
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