Depuis onze numéros, la Revue Dessinée propose à chaque
saison des enquêtes, reportages et documentaires en bandes dessinées.
Au sommaire de cette livraison printanière, tout
d’abord, une immersion dans le quartier du sentier et son économie impitoyable.
Entre Château d’eau et Boulevard Saint-Denis, on découvre le véritable
fonctionnement des 120 et quelques salons aux prix imbattables avec leurs
coiffeuses, souvent sans papier, exploitées de 8 heures à 23 heures, parfois
salariées mais soumises aux seules règles des gérants, leurs rabatteurs, leurs
codes mais aussi leurs conflits puisque certaines osent s’organiser pour exiger
le respect de leurs droits.
Boulevard Saint-Denis, ce sont les nouvelles
prostituées apparues à côtés des traditionnelles, femmes souvent jeunes, venues
d’Afrique de l’Ouest, liées par un envoutement rituel plus puissant que
n’importe quelle contrainte, de Chine, complètement ignorantes en matière de
contraception, ou d’Europe de l’Est, passées par des « maisons de
dressage » où elles ont souvent été rendues accros à l’héroïne, toutes
officient entre les couloirs et les porches des immeubles, à des prix
dérisoires pour payer la dette contractée pour leur venue en France.
Puis c’est l’évolution du secteur de la confection
textile que nous présente Amélie Mougey, la journaliste et Cyrille Pomès,
l’illustrateur, à travers leurs rencontres, leurs interviews, leurs analyses.
Ce reportage dessiné, sensible et subjectif, est,
comme tous les autres, suivi d’un rapide dossier d’une double page qui
synthétise en quelques chiffres l’évolution de la législation sur le séjour qui
favorise de plus en plus l’exploitation.
Dans « Au pied du mur », Taina Tervonen et
Thierry Chavant dresse le bilan dramatique de l’année 2015 pendant laquelle
l’Europe, après avoir aboli ses frontières, s’est montrée incapable de gérer la
plus grande crise migratoire depuis la seconde guerre mondiale. Les dépenses
pour la construction de murs, de centre de détention, pour les expulsions…
coûte environ un milliard par an à l’Europe. Quant aux migrants, ils dépensent
chaque année environ la même somme pour tenter de franchir les frontières. Une
véritable manne pour les passeurs. Il faudrait dépasser les discours populistes
qui monopolisent le débat pour proposer, comme l’ont fait deux économistes, de
casser le monopole des trafiquants en vendant des visas à des prix inférieurs
aux leurs. Ces fonds permettraient de lutter contre le travail illégal et les
réseaux clandestins.
Le dossier sur le P.P.P. (Partenariats Public Privé)
n’est pas moins intéressant. Il a le grand mérite de rendre clair un système
particulièrement complexe et technique. Depuis le début des années 2000 les
collectivités utilisent ce moyen pour construire d’importantes infrastructures
sans débourser un centime. Malgré les premiers retours d’expérience désastreux,
l’accès à ces procédures ne cesse d’être facilité.
Catherine Le Gall et son illustrateur attitré
Benjamin Adam ont visité le nouvel hôpital de Saint-Nazaire, inauguré en 2012.
Pas moins de six cents réserves ont été formulées à la livraison des travaux
mais le règlement des litiges est tellement complexe, les avocats des grands
groupes de B.T.P. sont tellement efficaces face aux collectivités bien souvent
démunies que les expertisent trainent et n’aboutissent guère. Les avenants au
contrat, les frais de maintenance réservent également de bien mauvaises
surprises. Les loyers sont des rentes telles qu’au bout de 35 ans c’est trois
fois le coût du bâtiment que le contribuable aura déboursés ! Et bien
évidemment les économies seront trouvées sur la seule variable
d’ajustement : les emplois, au détriment du service rendu. Les initiatives
syndicales pour dénoncer le contrat relèvent du parcours du combattant et
n’éviteront pas les pénalités à verser au prestataire qui sort toujours
gagnant. À l’instar des emprunts toxiques dont ils partagent l’opacité, les
P.P.P. sont, pour bon nombre de collectivités, de véritables bombes à
retardement.
Vaste est l’éclectisme éditoriale puisqu’il est
aussi question dans ce numéro de deux expériences de formations alternatives en
haute gastronomie, au Pérou et à Paris, à la portée de tous, d’un garage associatif
à Bordeaux, du monde des mariages arrangés en Iran,…
Sommaire plus complet : http://www.larevuedessinee.fr/Numero-11
La double approche, d’abord investigatrice puis
synthétique a le mérite de rendre accessible les sujets les plus abscons. Le
travail de synthèse est remarquable. Le plus souvent, le dossier ne se contente
pas de rendre compte d’une réalité mais propose des pistes d’alternatives déjà
concrètement envisagées ou simplement évoquées. De (trop) brefs conseils de
lecture permettent de prolonger éventuellement la réflexion.
LA REVUE DESSINÉE #11
Collectif
228 pages – 15 euros
Éditions La Revue Dessinée – Paris – mars 2016
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