Issus de l’atelier populaire n°3 des Arts décoratifs de Paris pendant mai 68 et fortement nourris par cette expérience, un collectif de graphistes va fonder Grapus et fortement marquer, pendant plusieurs décennies, la création et la communication visuelle non publicitaire. Ne pas mettre les images au service de l’économie marchande mais d’un projet de transformation du monde, tel est leur intention.
Les vingt-six témoignages qui composent cet ouvrage raconte l’histoire du groupe, depuis sa formation intensive à soumettre des affiches aux assemblées générales des Arts déco, à les imprimer et les diffuser à un rythme haletant, les stages à Varsovie auprès de Tomaszewski, le premier atelier dans l’appartement de Gérard Paris-Clavel, rue de la Tombe-Issoire, le déménagement à Ivry de 1974 à1980, à Aubervilliers puis à Montreuil, rue de la Révolution. Si cinquante à soixante personnes vont travailler à Grapus, quelques heures ou quelques années, le noyau dur tourne autour de Pierre Bernard et Gérard Paris-Clavel, François Miehe qui va partir rapidement, rejoints un peu plus tard par Jean-Paul Bachollet qui s’occupera contre vents et marées de l’administration, et Alex Jordan. Les différents récits éclairent le rôle et la personnalité de chacun, leurs fonctionnements.
En 1968, Malraux créé l’Institut de l’environnement, pendant français du Bauhaus, récupérant d’ailleurs des enseignants de l’école d’Ulm, dernière en Allemagne a s’en réclamer et brutalement fermée par le pouvoir. Ils y trouveront l’impulsion qui donnera du sens à leur travail. En parallèle, ils adhérent au Parti communiste, au parti de la Résistance et de Picasso, tout en demeurant dans « un bain largement anarchisant et créatif », anti-stalinien. Ils créeront beaucoup d’affiches pour le Parti, pour la CGT, pour leurs antennes locales et pour beaucoup de municipalités communistes : de l’album ZUP pour la maison de la Culture de la Rochelle en 1982 aux affiches du Théâtre de la Salamandre, en passant par leur implication dans la radio Lorraine coeur d’acier. Tous les travaux sont signés collectivement « Grapus ». Ils sont imaginés par celui qui reçoit la commande, discutés, débattus, enrichis, très souvent dans le conflit. Il n’est pas rare qu’un stagiaire se voit confié une réalisation, en totale confiance. Il s’agissait de pousser une recherche vers une transgression avant-gardiste, de bousculer les habitudes visuelles et les codes. Il réaliseront aussi les identités visuelles de la Cité de la Villette et du Musée du Louvre.
Ils se sépareront finalement en 1990, poursuivant chacun de leur côté au sein de groupes qui cohabitaient déjà depuis plusieurs années sous le même toit : l’Atelier de Création Graphique, Nous Travaillons ensemble et Les Graphistes Associés.
Les quelques affiches reproduites en fin de recueil donnent déjà à voir un échantillon de la production, mais l’intérêt de l’ouvrage réside surtout dans l’appréhension du fonctionnement collectif, de la dynamique créative, d’une « hétérotopie », « un terrain où le désordre et la contestation étaient une façon de vivre, où le rêve devenait possible ».
COMMENT, TU NE CONNAIS PAS GRAPUS ?
Léo Favier
258 pages – 22 euros
Éditions Spector Books – Leipzig – Décembre 2004
Les archives sont consultables ici :
http://archives.aubervilliers.fr/Fonds-Grapus
Première exposition des affiches de Grapus en France depuis 35 ans, à l'usine du May, à Thiers (63), été 2017 :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=137&v=A_OVY1BPlBE
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