Il rend compte, avec mesure et sans ironie aucune, de la lecture de The Paradise Within the Reach of All Men, Without Labor, by Power of Nature and Machinery (« Le Paradis à portée de tous les hommes, sans travail, par la puissance de la nature et de la mécanique »), écrit par John-Adolphus Etzler, ingénieur allemand émigré aux États-Unis. Il reprend une à une chacune de ses propositions et s’enthousiasme pour son dessein de soumettre le monde physique à la volonté de l’homme. Du vent, des marées, du soleil, Etzler propose de tirer beaucoup plus de bienfaits et d’énergie grâce à son « Système mécanique » dont il détaille différentes applications pratiques. Il s’agit pour lui, ni plus ni moins, de libérer l’homme du travail, ce qui laisse tout de même Thoreau dubitatif. Celui-ci demande tout de même à voir quelques réalisations avant d’y adhérer, d’autant que l’ingénieur ne s’inquiète guère des besoins en temps, hommes et argent. Il doute également de « l’assiduité de l’homme au travail grâce à la foi ».
Sa principale critique touche cependant au principe même de la logique de ce développement mécanique illimité (jusqu’à modifier l’orbite terrestre avec de l’énergie accumulée ?) : « La nature assume déjà toutes ces tâches que la science accomplit peu à peu à une échelle plus grande pour que l’homme soit servi par elle. Quand le soleil tombe sur le chemin du poète, il goûte à tous les bienfaits et les plaisirs que les arts ne dispensent que lentement et partiellement, de génération en génération. Les vents qui lui fouettent les joues lui apportent tous les avantages et le bien-être que lui prodiguent leurs inventions calorifuges. Le principal défaut de cet ouvrage, c’est qu’il vise pour l’essentiel à apporter le plus de confort et de plaisirs sommaires. » Thoreau préfère le transcendantalisme dans l’éthique plutôt que dans la mécanique qu’il juge plus hypothétique : « Il y a un chemin plus rapide que celui que propose le Système mécanique pour combler les marais, étouffer le mugissement des vagues, apprivoiser les hyènes, préserver un environnement agréable, varier le paysage et le rafraîchir au moyen de « petits ruisseaux d’eau douce », et c’est grâce à l’énergie que procurent droiture et comportement exemplaire. » Il prône déjà la recherche de "simplicité volontaire" qu’il expérimentera bientôt et relatera dans Walden ou la vie dans les bois : « L’amour est le vent, la marée, le soleil. Sa puissance est incalculable, elle fait plusieurs chevaux-vapeur. » « Elle peut créer un Paradis intérieur qui rend inutile tout Paradis extérieur. »
Visionnaire et terriblement actuel.
LE PARADIS À (RE)CONQUÉRIR
Henry David Thoreau
82 pages – 3 euros
Éditions Mille et une nuits – Paris – Mai 2005
Texte paru pour la première fois dans The United States Magazine and Democratic Review – Novembre 1843
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