Longtemps arrimé à sa valeur cosmologique, une certaine historicité a donné au terme sa dimension sociale et politique. Si les dictionnaires insistent sur sa nature brusque et violente, « il faut d’emblée y ajouter l’espérance et le sens dont se dotent les révolutions ». « L’événement révolutionnaire rompt avec les colères solitaires et les sentiments isolés, esseulés. » « L’événement révolutionnaire bouleverse le rapport à l’histoire, au passé comme au futur. Car ce qui arrive survient parfois en contradiction frontale avec ce que l’on attendait. » S’il y a un héritage de la révolution – l’histoire des révolutions passées servant à la fois de références et de « viviers d’expériences » – son cheminement comme son issue sont imprévisibles et ne peuvent se rabattre sur des modèles tout faits. Son intention est de « changer la vie » (Rimbaud), de « reculer le champ du possible » (Che Guevara). C’est « la révélation d’un horizon », « une espérance qui ne se paie pas de mots » mais agit. Manière hardie de s’en prendre au pouvoir, c’est aussi une subversion du quotidien.
Ludivine Bantigny procède a un rapide tour d’horizon historique. Elle explique en quoi la terreur d’État de 1793 n’était que le reflet de celle pratiquée par l’Ancien Régime et que cette période fut aussi riche en progrès social. Si les religions, les colonies, les empires, les républiques ont aussi leur part de violence, les discours médiatiques en accablent surtout les mouvements révolutionnaires pour les disqualifier. Ils inventent des mots comme celui de « casseurs » dont la première occurrence remonte à l’automne 1832, lorsque Le Figaro, journal satirique et critique tout juste racheté par le pouvoir, stigmatisait les « émeutiers » pour les discréditer.
De février à mai 1848, la prise armes citoyenne est considérée comme légitime et installe la République dans la légalité d’une assemblée élue au suffrage « universel », rejetant alors dans l’illégalité la contestation armée pour l’établissement d'une « démocratie véritable, car sociale et non pas simplement juridique et civique ». Le nouveau régime réprime la poursuite de l’action révolutionnaire qui l’a porté au pouvoir car il est mal admis que la politique puisse se situer en dehors des assemblées.
En 1871, il s’agit de retrouver la République sociale telle qu’on l’avait imaginée, de ne plus s’en laisser conter par un régime au service de la bourgeoisie. La plus importante réalisation de la Commune est d’avoir existé, prouvé sa possibilité.
En Russie en 1917, les dirigeants du Parti bolchevik instaurent un appareil bureaucratique, excluant les travailleurs de l’organisation de la production, arrêtant la Révolution russe dans son mouvement et son élan.
La Révolution espagnole démontre la puissance créatrice de la classe ouvrière et la capacité des masses à s’organiser.
Le mouvement de libération des forces populaires jusque là entravées s’accompagne toujours d’un autre déchaînement, celui de ses adversaires, de l’intérieur et de l’extérieur, qui font tout pour le contrer, l’écraser puis le faire oublier.
En 1968, il s’agit d’imaginer un société définie autrement que par le profit. Si ce n’est pas le grand soir, c’est quand même « une révolution anthropologique » qui a effrayé les dirigeants. « Face à un système bien organisé, la prémisse d’une révolution tient sans doute dans la dés-adhésion : se désassigner pour devenir sujet. Elle suppose deux dimensions, théoriques et pratiques : le dévoilement, opéré dans la capacité à déjouer et dénouer les chaînes de la domination en les montrant pour ce qu’elles sont ; la mise en oeuvre de contre-conduites puisées au refus de la passivité et à l’auto-organisation. »
Le diagnostique de la Commission Trilatérale en 1973 alarmait sur la difficulté grandissante à gouverner face à l’implication des gouvernés, un supposé « excès de démocratie » et les luttes pour l’égalité. « Il fallait injecter de nouveaux formatages et d’abord la grande idée qu’il n’y avait pas d’alternative. » Des historiens, comme François Furet, affirmaient que la Révolution française était le « berceau du totalitarisme », tandis que s’effondraient « des régimes qui avaient un temps porté des espoirs de socialisme, avant de les défigurer » et qu’un « capitalisme absolu » (Rancière) s’imposait, faisant de tout un marché.
Pourtant des intellectuels, comme André Gorz, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, les zapatistes, pensent et expérimentent une « organisation non capitaliste de la vie ». « L’exigence communiste » (Maurice Blanchot) survit à l’échec du communisme historique. Les soulèvements de ces dernières années ont montré que la révolution n’appartenait pas au passé, redonnant « sens et vie aux engagements révolutionnaires ». « Si le nom de révolution a subi tous les assauts, il importe de revenir à ce que les révolutions ont d’essentiel sur le fond : rupture avec les routines de l’ordinaire, perte de légitimité des pouvoirs en place, extension du politique, effets de dévoilement sur les puissants. La révolution est une manière de rompre avec l’obéissance et l’allégeance. »
En quelques dizaines de pages, Ludivine Bantigny parvient à saisir la quintessence d’un terme dévoyé, à en proposer une réappropriation en le réinsérant dans une perspective historique qui semblait interrompue.
RÉVOLUTION
Ludivine Bantigny
106 pages – 9 euros
Éditions Anamosa – Collection « Le Mot est faible » – Marseille – Mars 2019
https://anamosa.fr/
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