23 juin 2020

L’ÉBLOUISSEMENT DE LA RÉVOLTE - Récit d’une Arménie en révolution

Jean-Luc Sahagian raconte de l’intérieur la révolution en Arménie au printemps 2018.
Aussi controversé que son élection, le Premier ministre et ancien président Serge Sarkissian doit faire face à des manifestations de « non-violence active ». Par contraste avec la politique qu’ils dénoncent et « la fascination malsaine pour la confrontation armée, héritée des années 1990 », les manifestants privilégient la désobéissance civile, l’humour et le dialogue, même en cas de répression. Ainsi les policiers sont-ils, par exemple, interpelé individuellement : « Ashot, ta grand-mère est avec nous. Tu ne vas pas venir la frapper ? » L’auteur raconte, jour après jour, son immersion dans la foule et les émotions qui le traversent : « Très vite, moi qui arrivais d’un pays où tout semblait bloqué, je me laissais gagner par la simplicité de ce mouvement et par son évidence qui emportait toute réserve et toute morosité. » Il est bouleversé par les gens qu’il rencontre, impressionné par leur enthousiasme et la sincérité de leur révolte qu’il attribue à leur appartenance à un mode encore préservé d’un certain nombre de nuisances de la « modernité capitaliste ». Il raconte la popularité du leader de l’opposition Nikol Pachinian qui affirme s’inspirer de Mandela et de Martin Luther King. Il raconte la corruption généralisée au point que beaucoup devaient reverser une partie de leur maigre salaire à leur chef pour conserver leur emploi. Il raconte la révolte des enfants, habitués à se taire mais qui renvoient désormais leurs professeurs coupables d’injustices ou de violences. « C’était vraiment un beau moment de retournement, ce moment où la peur change de camp. » Il raconte « une grande séance d’exorcisme collectif », lorsque tous les fonctionnaires et tous les étudiants, d’office adhérents au HHK, le parti gouvernemental, viennent accrocher leur carte à des fils tendus entre les lampadaires devant la mairie de Gumri.
Il doit rentrer en France alors que Nikol est élu Premier ministre, avec des voix de quelques député du HHK soucieux d’abréger la crise politique. « Durant ces journées d’agitation, un grand nombre de gens avaient entrevu un autre pays, un pays où il serait possible de vivre sans avoir à émigrer, un pays où serait mise en place une justice sociale, un pays où l’on pourrait se partager le peu de richesses que s’accaparait jusqu’à maintenant un petit groupe de parasites. » Nikol demande du temps aux protestataires qui continuent à manifester pour exiger la démission du maire d’Erevan, un des chefs du HHK. Jean-Luc Sahagian est convaincu que maintenir la pression populaire aurait pu « dégager toutes les crapules encore à des postes de pouvoir » et permettre au peuple de participer à la gestion des affaires. « Les modalités de ce type de démocratie directe devaient être discutées dans tout le pays. L’Arménie, petit pays pauvre (trois millions d’habitants) pouvait tenter une autre manière de s’organiser que la sempiternelle et déprimante démocratie représentative qui, à terme buterait sur les mêmes écueils. »

Il établit un parallèle avec le mouvement des Gilets jaunes qui surgit en France, fin novembre. « Soudain, quelque chose fait irruption : une parole, des actes, des manières d’apparaître que je n’avais encore jamais vues en France. Le peuple dans la rue redevient dangereux. Il manifeste là où on ne l’attend pas, il bloque les routes, les péages et les ronds-points. Et surtout, il ne respecte pas le protocole habituel, celui d’une gauche inoffensive qui n’en finissait plus de se décomposer. Il s’en moque même, insensible à cette mélancolie postmoderne qui avait fini par tous nous gagner. Ici, c’est le retour de la colère, ici, c’est le retour de la joie. » « Cette critique en acte des représentations politiques traditionnelles vient redonner du courage et de la force, alors que quelques mois auparavant tout semblait parti pour continuer à pourrir lentement. »

Au printemps suivant, il retourne en Arménie et se confronte à l’impatience et à la déception. Le décor, des flics aux publicités, n’a pas changé. Si l’on commence à discuter de la mise en place d’une sécurité sociale, si l’Église ne se mêle plus des questions d’éducation, la lenteur du processus suscite amertume et colère chez nombre de ses interlocuteurs.

Emporté par ses émotions, en empathie complète avec les manifestants, Jean-Luc Sahagian prend tout de même le temps de l’analyse et de l’écoute. Un témoignage inédit et enthousiaste.





L’ÉBLOUISSEMENT DE LA RÉVOLTE
Récit d’une Arménie en révolution
Jean-Luc Sahagian
98 pages – 13 euros
Éditions CMDE – Collection « Les Réveilleurs de la nuit » – Montreuil – Mars 2020
editionscmde.org






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