28 août 2020

BLUES POUR L’HOMME BLANC

Pièce inédite de James Baldwin inspirée du meurtre d’un adolescent Noir de 14 ans dans le Mississippi et de l’impunité qui suivit.

Richard, fils du pasteur Meridian Henry, de retour du Nord où il est resté presque huit ans et il a acquis une certaine indépendance d’esprit et de parole, est retrouvé assassiné. Les soupçons se portent sur un commerçant, Lyle Britten, dernier à l’avoir vu et coutumier de violence à l’encontre des Noirs. Les tableaux successifs dépeignent l’ancienneté des tensions entre les deux communautés, sans cesse entrecoupés, fort habilement, de flash-back qui donnent quelques clés psychologiques pour mieux saisir l’origine de la colère du jeune homme : la mort de sa mère dans des circonstances jamais éclaircies (« C’est parce que mon père n’avait aucun pouvoir que maman est morte. Et il n’avait aucun pouvoir parce qu’il est noir. Et la seule façon pour l’homme noir d’obtenir du pouvoir est de jeter tous les Blancs à la mer. »), son séjour dans une Amérique où les rapports avec les Blancs, les femmes notamment, sont moins tranchés, sa compréhension de la soumission des Noirs, etc). Le lecteur/spectateur apprend ainsi tout ce qui s’est réellement passé et saura qui ment et qui dit la vérité au cours du procès, qui constitue l'acte III.

Au delà des simples faits, Baldwin délivre, entre les lignes, une analyse de la condition des Noirs aux États-Unis. La question de l’assignation le taraude, notamment la résignation prônée par la religion : « Ce Dieu de l’homme blanc est un blanc. C’est ce maudit Dieu blanc qui nous a lynchés, brûlés, châtrés, qui a violé nos femmes et qui nous a dépouillés depuis des siècles de tout ce qui fait qu’un homme est un homme. » Même le pasteur doute : « Peut-être que j’ai eu tord de ne pas laisser les gens s’armer. »  « Dois-je être l’homme qui observe pendant que son peuple est battu, enchaîné, affamé, matraqué, massacré ? » Avec la même virulence, le romancier devenu dramaturge critique l’impuissance des mouvements non-violents à changer l’ordre des choses : « Nous manifestons – sans violence – depuis plus d’un an maintenant, et tout ce que nous avons obtenu, c’est qu’ils nous laissent désormais entrer dans cette minable bibliothèque du centre, qui était déjà vétuste en 1897 et où personne ne va de toute façon. » Dès le commencement, ses personnages sont convaincus que le coupable ne sera jamais puni : « Pourquoi le condamnerait-il ? Pourquoi lui ? Il n’est pas pire que les autres. C’est un honorable membre de la tribu et il a défendu dans le sang l’honneur et la pureté de celle-ci ! » demande Juanita, la petite ami du défunt. « En fait, si le jeune avait été blanc, ce serait très, très mauvais et tu aurais déjà tes fesses en prison à l’heure qu’il est. » tempère Parnell, directeur d’un journal local, Blanc mais proche des deux communautés, à l’adresse de son ami Lyle Britten.
Mais finalement, c’est l’immersion dans les convictions des Blancs qui inspirera le plus de commisération tant l’indépassable bêtise sur laquelle reposent leurs raisonnements et leurs préjugés, et que Baldwin met en scène sans fard, les enferme dans une peur et une haine où ils ne pourront jamais trouver la quiétude. C’est ce que laisse entendre le père de Richard au procureur qui l’accuse de prêcher l’égalité sociale : « Je crains que ce monsieur ne se flatte. Je ne souhaite pas voir les Noirs devenir les égaux de leurs meurtriers. Je souhaite que nous devenions égaux à nous mêmes. Que nous devenions des gens si libres intérieurement que nous n’ayons plus besoin de… craindre les autres et nul besoin… de les assassiner. »

En partant d’un fait divers, James Baldwin concentre et exprime dans cette pièce toute sa colère, ses convictions, sa connaissance précise et vécue du racisme structurelle propre à la société américaine. Ses personnages pratiquement archétipaux mais complexes à la fois, brossent une convaincante et intelligente illustration de la question raciale aux États-Unis. Il compte sur la criante évidence de l’inévitable injustice pour ouvrir les yeux et les consciences des spectateurs sur cette réalité. Une dernière fois, avant le feu ?



BLUES POUR L’HOMME BLANC
James Baldwin
Préface et traduction de Gérard Cogez
178 pages – 14 euros
Éditions La Découverte – Collection « Zones » – Paris – Août 2020
Produite à Broadway et publiée en 1964 chez Dial Press (New York) sous le titre Blues for Mister Charlie.





Du même auteur :

LA PROCHAINE FOIS LE FEU



Voir aussi :

UNE COLÈRE NOIRE – Lettre à mon fils

LE PROCÈS DE L’AMÉRIQUE


NEGROES WITH GUNS - Des Noirs avec des flingues


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