James Baldwin adresse à son neveu cette lettre qui demeure,
aujourd’hui encore, un manifeste vigoureux destiné à tous les Noirs américains.
Il lui raconte comment à 14 ans, il traversa une
crise religieuse profonde. Pendant longtemps, les Blancs considéraient que les
Noirs leurs dérobaient des babioles en pensant se faire justice, ce qui calmait
leur éventuel sentiment de culpabilité et renforçait leur croyance en leur
supériorité. Refusant de rompre les barrières morales, de suivre la plupart des
jeunes de son âge dans la déchéance de l’alcool, du crime, de la prostitution, James
Baldwin trouve le réconfort de la religion et devient jeune prédicateur.
Quelques années plus tard, ne pouvant plus supporter ce rôle qu’il considère
désormais comme une imposture, il abandonne. Le Paradis qu’il promet aux Noirs
serait-il un autre ghetto ? Pourquoi doit-il les convaincre de se
résigner et d’accepter leur condition ? Comment un Dieu peut-il être
réservé à une communauté (noire ou blanche), en contradiction avec l’amour
universel proclamé par les textes ? Il comprend aussi le rôle historique
de la chrétienté en lien avec le pouvoir historique, par sa justification des
conquêtes notamment. Quand l’homme blanc est arrivé en Afrique il avait
la Bible et l’Africain la terre. Maintenant l’Africain est encore en train de
digérer ou de vomir la Bible.
Vingt ans après, il est approché par le mouvement de
la Nation d’Islam qui revendique une économie noire autonome en Amérique. Même
s’il n’adhérera pas aux discours vengeurs qui voudraient remplacer la
suprématie des blancs par celle des noirs, il est intrigué par la crainte
qu’ils inspirent y compris à la police et l’étrange pouvoir de consolation
qu’ils semblent diffuser chez les auditeurs. Ils prêchent la faillite morale de
la chrétienté et des blancs, leur supposée supériorité réduite à néant
par l’existence du IIIe Reich et tous ses crimes. James Baldwin
ne rejoindra pas le mouvement, convaincu que toute glorification d’une race et
le dénigrement corollaire d’une autres, seront toujours des recettes de
meurtre.
Il lui importe tout autant que les Noirs américains
conquièrent leur liberté, que leur dignité et leur « santé
spirituelle ». Descendant d’esclaves dans un pays de protestants blancs,
qui furent volé et vendus comme des animaux, cent ans après son émancipation
technique, il conclut qu’il n’y aura pas de transformation véritable de la
situation des Noirs sans bouleversement radical des structures sociales et
politiques. S’il croit que les Noirs n’accéderont sans doute jamais au pouvoir,
ils sont cependant en position de sonner le glas du grand rêve américain. Il ne rêve pas
d’accéder à la civilisation américaine qui n’est, selon lui, qu’un mythe.
Humainement, personnellement la couleur n’existe pas. Politiquement elle
existe. S’il a le sentiment de demander l’impossible, c’est bien le moins qu’il
puisse exiger. Il veut encore croire, une ultime fois, en une résolution
pacifique par une prise de conscience générale de ces évidences mais sait déjà
qu’il ne restera ensuite plus comme solution que le feu.
C’est
son examen de conscience que nous confie James Baldwin, par un retour
sur ses engagements, convictions et prises de positions successives. C’est
aussi un inventaire des différentes opinions et stratégies existant aux États-Unis dans la lutte pour la cause des noirs.
Ce texte conserve aujourd’hui encore, même si les
États-Unis ont connu un président noir, son importance politique capitale.
LA PROCHAINE FOIS LE FEU
James Baldwin
Traduit de l’anglais par Michel Sciama
Préface d’Albert Memmi
134 pages – 13,15 euros.
Éditions Gallimard – Paris – octobre 1963
144 pages – 8,20 euros.
Éditions Gallimard – Collection Folio – Paris – juin
1996
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