27 août 2020

DE SÈVE ET DE SANG

En 1997, Julia Hill grimpe à 55 mètres de hauteur, sur un séquoia séculaire du nord de la Californie, baptisé Luna, dans le cadre d’une action de blocage destinée à empêcher Pacific Lumber de procéder à une nouvelle coupe à blanc. Elle raconte les tempêtes auxquelles elle dut faire face, notamment celle d’El Niño, le harcèlement des hélicoptères, l’épandage de napalm et le siège des agents de sécurité de l’entreprise.


Au matin du 31 décembre 1996, une coulée de boue ravage la petite commune de Stafford, dans le comté de Humboldt en Californie. Pacific Lumber avait effectué des coupes à blanc dans une partie très escarpée de la montagne, fragilisant sa stabilité structurelle. Des pluies abondantes, habituelles dans la région, emportèrent la terre et les rochers qu’aucune végétation ne pouvait plus retenir. Cependant, le Département californien des forêts approuva un nouveau projet de coupe à blanc sur la parcelle voisine. Par un concours de circonstances, Julia Hill, fille de pasteur, se retrouve embarquée dans une campagne de tree-sitting, pour empêcher l’abattage de Luna. Le tree-sitting est une tactique de désobéissance civique utilisée dans la lutte pour la protection des forêts : des personnes se relaient en permanence dans les arbres et se postent jour et nuit sur une plateforme juchée en haut d’un arbre pour empêcher que l’arbre ainsi que ceux des alentours soient abattus et dénoncer ainsi la marchandisation de la forêt. Elle raconte son initiation à l’escalade, son installation, ses rencontres, ses (nombreux) moments de doute, ses discussions avec les bucherons, les intimidations des hélicoptères qui la survolent, en violation flagrante de la règlementation aérienne, les pressions d’Earth First !, mouvement auquel elle n’adhère pas, pour se conformer à leurs décisions et à leur communication, le blocus des agents de sécurité pour empêcher tout ravitaillement et les ruses des militants pour le déjouer, les épandages de gasoil et d’herbicides pour détruire les plantes invasives qui ralentiraient la croissance du bois, son entrée fracassante et inattendue dans la sphère médiatique : « Pour les médias, je devenais une marchandise – j’étais leur proie. Ils se nourrissaient de moi. La presse s’intéressait à moi juste parce que je pouvais lui rapporter de l’argent. J’avais fait de mon mieux pour changer les choses et utiliser les médias pour faire passer un message, mais le vol des vautours au-dessus de moi me rappelait sans cesse de rester sur le qui-vive. » Devenue porte-parole malgré elle, elle décide d’approfondir ses connaissances pour remplir au mieux cette tâche.
Le pire hiver qu’ait connu la Californie, dû au phénomène El Niño, avec des tempêtes qui durèrent des semaines, la privant de sommeil, lui apprendra le « pouvoir du lâcher-prise » : plutôt que de résister et d’essayer à tout prix de rester debout et droite, elle acceptera de ployer, comme les arbres, de se laisser bousculer par les vents. Cent jours passent, puis six mois, puis un an, puis deux.

Longtemps la scierie de Stafford est restée une entreprise familiale. Ses propriétaires avaient une politique de gestion soutenable de la forêt et savaient que s’ils coupaient trop, ils anéantiraient les perspectives d’emploi et d’avenir de leurs petits-enfants. À l’automne 1985, Charles Hurwitz, un texan à la tête de la firme Maxxam la racheta en contractant 800 millions de dollars de dette. Il vendit aussitôt une partie des actifs de la société et augmenta brutalement le rythme des coupes. Par ailleurs, il a été poursuivi en justice par des retraités pour avoir utilisé un fonds de pension de 64 millions de dollars en remboursement d’autres dettes. Il a aussi réussi à conclure un accord avec le gouvernement fédéral et l’État de Californie pour leur vendre, contre 480 millions de dollars, la forêt de Headwaters et d’autres terrains, tout en continuant à effectuer des coupes mais selon un plan supposé « durable » et en s’engageant à préserver des espèces, ce que la loi lui imposait déjà. Des militants – et Julia Hill utilisera sa notoriété pour amplifier leur campagne – dénonceront différents subterfuges et rappelleront que cette compagnie a enfreint plus de trois cents fois en trois ans la loi sur les pratiques forestières. Ils ont du faire le travail des agences gouvernementales pour dénoncer ces agissements et l’un d’eux mourra, écrasé sous un arbre abattu pendant une action visant à bloquer un chantier.

Julia Hill négociera directement avec John Campbell, responsable de Pacific Lumber, pendant plusieurs mois pour préserver Luna. Un accord officiel finira par être signé le 18 décembre 1999 et elle put redescendre au bout de… 738 jours.

Témoignage inspirant.





DE SÈVE ET DE SANG
Julia Hill
Traduction de Cassandre Gruyer
Préface de Derrick Jensen
292 pages – 16 euros
Éditions Libre – Paris – Août 2020
Édition original : The Legacy of Luna – HarperCollins – 1999 

www.editionslibre.org/produit/de-seve-et-de-sang-julia-butterfly-hill-legacy-of-luna-livre-sequoia


Voir aussi : 

EARTH FIRST ! - Manuel d’action directe

ÇA GRÉSILLE DANS LE POTEAU - Histoires de la lutte contre la T.H.T Cotentin-Maine – 2005-2013

LA CANAILLE À GOLFECH - Fragments d’une lutte antinucléaire (1977-1984)

ÉLOGES DES MAUVAISES HERBES - Ce que nous devons à la ZAD

 

 

 

 

 


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