Jean Royer, par ailleurs maire de Tours, à la tête de l’établissement public d’aménagement de la Loire et de ses affluents, l’EPALA, fondé en 1983, n’a qu’une vocation : « remettre la Loire capricieuse dans le droit chemin », en la bridant, la rectifiant, la contrariant, par une série de grands aménagements, dont quatre barrages. Soucieux de développer la ville qu’il dirige, « il distribue des liasses de permis de construire » pour occuper des milliers d’hectares de zones inondables.
Le 21 septembre 1980 une crue cause d’importants dégâts en Haute-Loire, emportant des ponts et laissant huit morts. C’est à ses yeux une véritable aubaine : « Seuls les barrages pourront nous protéger des caprices du fleuve ! », « La nature n’a pas à contrarier le progrès ! ».
Le 13 mai 1986, le projet de construction celui de Serre de la Fare est officiellement annoncé. Quelques militants créent aussitôt le comité SOS Loire vivante et commencent à alerter l’opinion, si bien que 20 000 requêtes seront consignées sur le registre d’enquête public.
Le 11 février 1989, le préfet signe la déclaration d’utilité publique permettant le démarrage du chantier, aussitôt attaqué devant le tribunal administratif, tandis que sur le terrain les premières tentes s’installent spontanément.
Les auteurs racontent, en rapportant les témoignages de nombreux acteurs, toutes les phases de cette lutte. Le WWF apporte son soutien, notamment en finançant le poste d’une biologiste qui, pendant deux ans, va recenser l’indiscutable richesse de la haute vallée de la Loire et montrer que la construction du barrage allait détruire définitivement une biodiversité et un milieu naturel exceptionnels qui ne pourraient jamais être recréés.
Comme l’argument de « la protection des biens et des personnes » était difficile à remettre en cause, surtout après le traumatisme de 1980, les opposants doivent penser un autre mode de gestion des crues. Une vingtaine d’année plus tôt le barrage de Malpasset dans le Var a cédé, libérant une vague de quarante mètres qui s’abat à 80 km/h sur Fréjus et les communes alentour, faisant 423 victimes. Pour donner de l’ampleur à leur revendication, ils présentent une liste aux élections municipales au Puy-en-Velay, en 1989, obtenant plus de 17% des voix, puis 22% au second tour, obligeant soudain les rédactions parisiennes à s’intéresser à cette « résistance citoyenne ». Le Premier ministre Michel Rocard, suspend le projet.
Le 3 avril 1989, un grand rassemblement réuni 14 000 personnes venues de toute l’Europe. Face aux trois propositions de l’EPALA, « soutenues par le conglomérat des grands marchands de béton et des acteurs de l’aménagement du territoire », le comité SOS Loire vivante élabore une quatrième proposition à la fois capable de protéger les personnes et les biens, et de préserver le site naturel : déblayer la Loire, lui restituer son lit alluvial, ouvrir les remblais, creuser le lit de la rivière pour augmenter le débit sous les ponts. Et le 18 juin 1991, le gouvernement annonce l’annulation du projet pour ces solutions alternatives qui sont aujourd’hui encore une référence.
L’alternance de photos et de dessins est plutôt originale et réussie. Elle permet de rattacher régulièrement à la réalité le récit, de rappeler la beauté des espaces menacées.
Il est essentiel de conserver la mémoire des luttes, de se souvenir que rien n’est inéluctable, que la toute puissance de l’État peut parfois être entravée mais aussi qu’affronter le pouvoir est rarement une partie de plaisir. Ce récit montre clairement qu’une opposition à un projet n’est pas fondée sur d’égoïstes et passéistes raisons comme on aime à nous le faire croire, mais relève souvent du bon sens, qu’une concertation réellement démocratique aboutirait à des solutions plus adaptées et sans aucun doute délivrées des lobbies à la recherche de profits à tout prix.
L’EAU VIVE
Un grand combat écologique aux sources de la Loire
Alain Bujak et Damien Roudeau
156 pages – 23 euros
Éditions Futuropolis – Paris – Septembre 2020
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