« Je m’appelle Rudolph Schnaubelt. C’est moi qui ai lancé la bombe qui tua huit policiers et en blessa soixante à Chicago, en 1886. » Par cette fracassante confession débute ce roman de Frank Harris (1856-1931).
À peine débarqué d’Allemagne, ce jeune homme cultivé découvre les bas-fonds de l’Amérique et la dure condition des ouvriers. Après un premier hiver à survivre grâce aux quelques heures d’embauche dégotées de ci de là, sur les docks notamment, il travaille aux fondations du pont de Brooklyn, dans l’air comprimé, sous cloche mais arrête avant d’être atteint du « mal des caissons », puis pose des canalisations de gaz avant que son patron ne lui propose d’être sous-traitant. « Notre système de concurrence, me rendis-je compte, au vu de ces exemples successifs, était donc une escroquerie organisée. » Ayant compris la réalité de l’exploitation qui permet à certains de s’enrichir aux dépends des autres, il fait la connaissance du directeur du Vorwaerts, un journal socialiste qui lui propose de raconter ses expériences. Envoyé à Chicago, il collabore également à l’Arbeit Zeitung, dirigé par August Spies, puis au Chicago Tribune, et commence à fréquenter les réunions socialistes qui lui donnent l’occasion de rencontrer Parsons, rédacteur en chef de The Alarm, et surtout Louis Lingg, fondateur de la Lehr and Wehr Verein. À cette époque, « une écrasante majorité d’Américains de souche » s’est ralliée « à la cause des maîtres », « au motif que les ouvriers étaient des immigrés et des intrus ». « La revendication de la journée de huit heures était considérée comme une initiative étrangère : tous la dénonçaient. » Lors d’un rassemblement de grévistes, il découvre la brutalité de la répression policière : « Les Américains chérissaient leur droit à l’expression mais le refusaient aux étrangers – bien que nous soyons nous aussi américains, que nous ayons autant droit à ce titre qu’un natif dont les parents ne nous ont précédés que d’une ou deux générations. » Lors d’une autre réunion publique organisée sur un terrain vague, la police fait feu : trois grévistes sont tués sous ses yeux et vingt autres blessés. Dès lors, sa colère ne s’éteindra plus, alimentée par ses conversations avec Lingg, duquel il s’est rapproché, jusqu’à son aboutissement, le 4 mai 1886, dans une ruelle près de Haymarket Square. Son récit se poursuit par son exil, le procès de Chicago, cruelle parodie de justice, et les exécutions des innocents que l’on sait.Frank Harris réalise ici une poignante description des bas-fonds de l’Amérique et notamment de la condition des ouvriers immigrés, ainsi qu’un témoignage de première main, certes fictif mais qui semble fort documenté, sur un épisode majeur de l’histoire des luttes sociales, à l’origine du 1er mai, journée des travailleurs.
LA BOMBE
Frank Harris
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homassel
282 pages – 20 euros
Éditions Le Dernière goutte – Strasbourg – Janvier 2015
www.ladernieregoutte.fr
Édition originale : The Bomb – Mitchell Kennerley, New York, 1909
336 pages – 7,70 euros
Éditions Le Livre de Poche – Paris – Mars 2020
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le sujet m'intéresse, je le note :-)
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