LE RÊVE DE DEBS
San Francisco se réveille dans un complet silence. Comme dans tous les États-Unis, une grève générale vient d’être déclarée, réalisant le grand rêve d’Eugene Debs, agitateur syndical et militant socialiste. Corf, le narrateur, n’est pas trop inquiet et compte sur le gouvernement fédéral pour la briser sans tarder. Mais cette fois la classe ouvrière s’est particulièrement bien préparée, accumulant pendant des mois, dans le plus grand secret, d’abondantes provisions dissimulées dans les foyers. Tout est calme, aucune échauffourée ne vient troubler l’ordre public, pourtant au club où il se rend comme à l’accoutumé, la plus grande confusion règne : « Il n’y avait pas d’olives pour agrémenter les cocktails, et le service laissait grandement à désirer. » Bertie Messener, riche héritier, provocateur et cynique, exacerbe la colère et prend un malin plaisir à enflammer les débats : « Vous et vos copains, vous commencez sérieusement à me fatiguer. Vous employez tous des ouvriers non syndiqués. Vous m’avez assez rebattus les oreilles avec vos grands discours ronflants en faveur de la liberté d’embauche et du droit des hommes à travailler… Ça fait des années que vous m’infligez vos harangues antisyndicales. La classe ouvrière ne commet aucun crime en se mettant en grève générale. Elle ne viole aucune loi humaine ou divine. (…) Vous ne pouvez échapper aux conséquences inévitables de vos actes. Tout cela résulte d’une petite arnaque sordide. Vous avec accablé la classe ouvrière, et vous l’avez truandée tant et plus, et la classe ouvrière vous rend aujourd’hui la monnaie de sa pièce et vous accable à son tour, voilà tout… Et vous poussez des hauts cris, vous couinez comme des cochons qu’on égorge ! » Cette scène est certainement la plus croustillante et la plus jubilatoire. Toute la mauvaise fois et l’hypocrisie de la classe possédante y sont mises en lumière avec un talent certain. Et bientôt, la famine guette. Comme quoi, avec un peu d’organisation…
AU SUD DE LA FENTE
Freddie Drumond, professeur de sociologie à l’université de Californie, s’immerge non sans difficultés parmi les ouvriers, pour rédiger des ouvrages « d’une irréprochable orthodoxie politique et économique », « contribution perspicace et judicieuse à la saine littérature du Progrès, doublée d’une superbe réfutation à la pernicieuse littérature de la Protestation » selon ses nombreux laudateurs, débordants de généralités « péremptoires et erronées ». Il adopte un rôle qu’il va, petit à petit, jouer avec de plus en plus de conviction et bientôt Bill Totts, de son nom d’emprunt, dit Big Bill, « buvait comme un trou et fumait comme un sapeur, jactait le plus pur argot et ne renâclait pas à la bagarre ». Devenu sa « seconde nature », il ne jouait désormais plus la comédie, développant conscience de classe et haine envers les « jaunes ». Une déclinaison de Docteur Jeckill et Mister Hyde particulièrement truculente.
GRÈVE GÉNÉRALE
LE RÊVE DE DEBS suivi de AU SUD DE LA FENTE
Jack London
Traduit de l’américain par Philippe Mortimer
106 pages – 8 euros
Éditions Libertalia – Montreuil – Septembre 2020
editionslibertalia.com/catalogue/la-petite-litteraire/jack-london-greve-generale
La nouvelle The Dream of Debs a été initialement publiée en janvier 1909 dans The International Socialist Review et South of the Slot le 22 mai 1909 dans The Saturday Evening Post.
Deux nouvelles sociales de Jack London. Il raconte les conséquences d’une grève générale et la grande vulnérabilité des possédants, absolument désarmés face à une classe ouvrière très organisée, puis l’intrigant dédoublement de personnalité d’un sociologue un rien psychorigide dont le personnage d’enquête dans les milieux prolétaires va peu à peu gagner son autonomie.
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