12 février 2022

ÇA CHANGE QUOI

Un journaliste retourne à Gênes quelques années après ces journées de juillet 2001 pendant lesquelles il a couvert les manifestations autour de la réunion du G8, pour se souvenir, comprendre l’enchainement des événements et tenter de surmonter le traumatisme.
Il raconte le linge aux balcons, désobéissance à l’interdiction par le président du Conseil qui ne voulait pas que petites culottes et soutiens-gorge dérangent les puissants, les contrôles de police, le grondement des hélicoptères, les commerces qui se barricadent, les murs de métal qui découpent la ville en zones, le black bloc qu’il découvre et sa connivence apparente avec la police et les carabiniers. Lui aussi subit les charges et la brutalité de la répression : « Je ne les ai plus regardés parce que ce n'était plus ma – notre – sécurité. C'était l'ennemi, maintenant. Et c'étaient eux qui avaient décidé de l’être, en tendant une véritable embuscade au cortège. » « Dans les rues de Gênes, des milliers et des milliers de personnes avaient vécu simultanément, au même endroit, aux mêmes heures – les mêmes émotions, les mêmes sentiments – la journée la plus terrorisante de leur existence. Et pour beaucoup d'entre eux ce n'était pas encore fini. Il ne pouvait pas savoir qu'une nouvelle limite allait être franchie, dépassant tous ceux qui étaient imaginable. »
Au départ, son récit s’entrecroise avec celui de ses déboires sentimentaux, comme s’il avait du mal à se frayer un chemin dans sa mémoire. Puis, peu à peu, le refoulement s’estompe et il parvient à faire face, de nouveau, aux souvenir de l’horreur : les longues heures de tirs de « fumigènes de guerre chimique » et d’ « eau urticante » sur les cortèges pacifiques (« six mille deux cents projectiles de gaz en deux jours »), la mort de Carlo Giuliani, l’école Diaz. « La mémoire […] n’est pas neutre, c’est un conflit constant. »
Malgré le prétexte littéraire, ce témoignage direct dégage une force évocatrice incomparable. Tous ces événements sont vécus et relatés, affranchis de toute distance journalistique. Tout le corps du narrateur – ses yeux, ses poumons, sa peau – est impliqué et témoigne dans sa chair. La nuit à l’école Diaz est rapportée en direct au téléphone par un témoin et la scène du crime visitée dès le lendemain matin, avant que les traces ne soient effacées. Comme avec l’attentat de la gare de Bologne, « opération qui a été voulue, parrainée, couverte et justifiée par les hauts responsables de la police », il n’est somme toute question que de l’histoire de l’Italie. Comme l’explique Antonio Tabucchi dans sa préface : « Rien ne change depuis longtemps en Italie. Depuis le fascisme. » Et il n’y aura que peu de réactions « au sein de cette étrange Union européenne qui, face aux droits de l’homme, privilégie la comptabilité ».

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

ÇA CHANGE QUOI
Roberto Ferrucci
Traduit de l’italien par Jérôme Nicolas
Préface d’Antonio Tabucchi
266 pages – 19,80 euros
Éditions du Seuil – Collection « Fiction & Cie » – Paris – Avril 2010 

www.seuil.com/ouvrage/ca-change-quoi-jerome-nicolas/9782020996983



Voir aussi :

GÊNES : 19-20-21 JUILLET 2001 - Multitudes en marche contre l’Empire

BELLO CIAO : G8, Gênes 2001

 

 

 

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