Cornelia Hesse-Honegger collecte des insectes ramassés à proximité de centrales nucléaires d’Europe et d’Amérique du Nord, et les peint, avec leurs déformations qu’elle découvre à l’aide de son microscope : « Je veux être comme un laser qui va d’un centimètre carré à un autre. Je vois – je montre ; je vois – je montre. » Hugh Raffles l’a rencontrée et présente son travail.
En été 1987, elle se rend dans l’Est de la Suède, région d’Europe la plus touchée par les retombées du nuage radioactif de Tchernobyl, selon ses calculs. Elle trouve des plantes étranges, recueille et examine des insectes qu’elle connait bien : dans son propre jardin, elle avait observé comment les punaises des plantes étaient des indicateurs biologiques, développant des anomalies chromatiques ou morphologiques après avoir ingéré des polluants absorbés par une plante. Mais en dix-sept ans, elle n'avait jamais vu une telle chose.
Les agences internationales de régulation du nucléaire évaluent les dangers de la radioactivité pour la santé humaine en utilisant une valeur de référence censée former un seuil, niveau de tolérance universellement applicable en dessous duquel les émissions sont considérées comme bénignes. Celui-ci a été extrapolé à partir des taux d'irrégularités génétiques reproductives de cancers et de leucémie que l'on retrouve chez les survivants de désastres nucléaires de grande ampleur. Des radiations plus basses, comme celles émises pendant de longues périodes par des centrales nucléaires en fonctionnement normal sont considérées comme insignifiantes. Cependant, d'autres scientifiques, reprenant le travail du physicien canadien Abram Pektau dans les années 1970, considèrent qu'il n'existe pas de minimum bénin et que les faibles doses de radiation peuvent aussi avoir des effets puissants et perturber les fonctions biologiques. La chimiste britannique Chris Busby a mis en lumière qu'une cellule dans un état normale stable demeure robuste lorsqu'elle est traversée une fois par an par des radiations. Mais, lors des phases actives de réplication cellulaire, cette même cellule sera très sensible et fera preuve d'une instabilité génomique considérable. De même, l’ingestion de matériaux radioactifs à travers la nourriture et l’eau peut déclencher en quelques heures une multiplicité de salves sur une seule cellule et conduire à d'autres effets qu'une exposition externe. Selon ces chercheurs « la sensibilité de l'environnement aux effets de la contamination radioactive est incomparablement plus grande que celle qui est définie par le modèle officiel. »
Cependant les articles de Cornelia Hesse-Honegger dans lesquels elle fait part de ses découvertes, sont contestés et critiqués. Elle se montre pourtant toujours extrêmement prudente : « Avec mes illustrations, je peux seulement montrer les changements. Les rendre visibles. Mon travail me permet d'indiquer l'urgence d'une étude des effets des radiations artificielles à doses faibles, et d'appeler à une explication scientifique plus générale de ce phénomène. Avec les moyens dont je dispose, je ne peux m'aventurer plus loin. Mais une enquête plus approfondie reste non seulement possible, mais nécessaire. »
Elle avoue également sa surprise en découvrant à Sellafield, après une importante fuite du réacteur, ou à Tchernobyl, que la proportion d’insectes en mauvais état et présentant des difformités, n’était pas plus grande qu’en Suisse par exemple, au contraire de ce à quoi elle s’attendait. Son travail était encore fondé sur les croyances des scientifiques d’une progression linéaire et proportionnelle des effets des radiations.
Hugh Raffles s’attache également à analyser les influences qui ont contribué à son travail plastique, qu’il inscrit dans la lignée de l’art concret. Il rappelle qu’elle est la fille de Gottfried Honegger, figure de proue de ce mouvement, et de l’illustratrice Warja Lavater.
Troublant témoignage qui vient ébranler la doctrine officielle.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LES CRÉATURES DE TCHERNOBYL
L’art de Cornelia Hesse‑Honegger
Hugh Raffles
Traduit de l’anglais par Matthieu Dumont
92 pages – 12 euros
Éditions Wildproject – Collection « Petite bibliothèque d’écologie populaire » – Marseille – Février 2022
wildproject.org/livres/creatures-de-tchernobyl
Texte initialement publié dans Insectopédie, Wildproject, 2016
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