« Desmoulins, l'enfant de Picardie, l'homme qui convia les Parisiens à s'armer deux jours avant qu'ils ne prennent d'assaut la Bastille, l'homme qui appela les patriotes à porter la cocarde en forme de ralliement, l'homme qui signifia sa haine des rois et son désir de république quand le pays communiait au complet en la monarchie, l'homme qui le premier invoqua la liberté, l’égalité et la fraternité sans savoir, c'est l’évidence, que ces trois mots, liés de la sorte, connaîtraient quelque destin. » Voilà qu’il s’élève à présent « contre les âmes par trop zélées ». Hébert, substitut du procureur de la Commune et « voix furieuse du Père Duchesne », et les siens appellent à ce que les têtes tombent davantage, que l’ennemi tremble et que le pays soit purifié, tandis que Desmoulins jure qu’en exhortant à plus de terreur et de morts, « les exagérés » font le jeu de l’ennemi. S’il « tient en effroi la religion de l’Église, froide, inquisitrice, compagne des puissants » et réclame que le clergé soit arraché du corps politique, il réclame que la République garantisse la liberté des cultes, que l’on cesse de piller les églises, de noyer les prêtres et d’abattre les statues, de crainte « de précipiter les gens de foi dans les bras de la Vendée ». S’il condamne sans équivoque la monarchie, qui est « l’immondice et l’égout », il reproche au Comité de Saut public d’avoir laissé la liberté « quelque peu en retrait », de frapper, pour combattre les ennemis, aussi ceux qui ne méritent pas d’être nommés tels. Il esquisse une ligne courbe, « soucieuse des rêves de la Révolution et des contraintes du présent » et demande la libération de deux cent mille prisonniers qualifié de suspect, considérant que sous un régime révolutionnaire il n'est que « des gens libres et des gens dont l'accusation a été prouvée ». Mais l'heure n'est pas à la clémence et l’on ne jure alors que par « la sainte guillotine » pour sauver la Révolution.
Et puis on restaure le suffrage censitaire, on rouvre la Bourse, on érige l’Empire, on rétablit l’esclavage, « bref, on décrassera le pays de ces momeries de gens égaux, de pain en partage et de peaux noires affranchies ».
Ce récit restitue les enjeux d’une époque trouble, que beaucoup s’obstinent prendre plus confuse encore. « L'Histoire n'est jamais qu’une façon pour les puissants de continuer à faire les poches aux morts. » Mais Joseph Andras veille au grain et, livre après livre, donne la parole aux vaincus, aux oubliés.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
POUR VOUS COMBATTRE
Récit
Joseph Andras
176 pages – 17,50 euros
Éditions Actes Sud – Collection « Un endroit où aller » – Arles – Mai 2022
www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/pour-vous-combattre
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