1 juin 2022

POUR VOUS COMBATTRE

« On venait d’attraper l’Histoire au collet et de la fiche quatre fers en l’air. » Tandis que dans l’ouest du pays, les combattants qui « brûlent encore d’asseoir le petit roi sur le trône » et veulent « l’ordre des braves prélats, la sainte religion romaine et la naissance qui vous fait grand de ce monde ou humble crevure » brandissent haut les armes contre la République, toutes les armées des cours d’Europe, coalisées, l’assiègent et l’assaillent. Pourtant, « jamais auparavant l'espèce humaine n'avait entrepris pareille tâche depuis que son crâne avait forci et qu'elle savait tailler la pierre en pointe : rendre les humains égaux entre eux. » Dans cette période trouble où la Convention se doit de demeurer ferme et intraitable, Camille Desmoulins l’enjoint de ne surtout pas oublier de rester juste. Joseph Andras brosse un portrait enthousiaste de cette figure magistrale, souvent effacée par ses illustres camarades, Robespierre et Danton. La rédaction et la parution des  sept numéros de son journal, Le Vieux Cordelier, rythment un récit nerveux et intense.

« Desmoulins, l'enfant de Picardie, l'homme qui convia les Parisiens à s'armer deux jours avant qu'ils ne prennent d'assaut la Bastille, l'homme qui appela les patriotes à porter la cocarde en forme de ralliement, l'homme qui signifia sa haine des rois et son désir de république quand le pays communiait au complet en la monarchie, l'homme qui le premier invoqua la liberté, l’égalité et la fraternité sans savoir, c'est l’évidence, que ces trois  mots, liés de la sorte, connaîtraient quelque destin. » Voilà qu’il s’élève à présent « contre les âmes par trop zélées ». Hébert, substitut du procureur de la Commune et « voix furieuse du Père Duchesne », et les siens appellent à ce que les têtes tombent davantage, que l’ennemi tremble et que le pays soit purifié, tandis que Desmoulins jure qu’en exhortant à plus de terreur et de morts, « les exagérés » font le jeu de l’ennemi. S’il « tient en effroi la religion de l’Église, froide, inquisitrice, compagne des puissants » et réclame que le clergé soit arraché du corps politique, il réclame que la République garantisse la liberté des cultes, que l’on cesse de piller les églises, de noyer les prêtres et d’abattre les statues, de crainte « de précipiter les gens de foi dans les bras de la Vendée ». S’il condamne sans équivoque la monarchie, qui est « l’immondice et l’égout », il reproche au Comité de Saut public d’avoir laissé la liberté « quelque peu en retrait », de frapper, pour combattre les ennemis, aussi ceux qui ne méritent pas d’être nommés tels. Il esquisse une ligne courbe, « soucieuse des rêves de la Révolution et des contraintes du présent » et demande la libération de deux cent mille prisonniers qualifié de suspect, considérant que sous un régime révolutionnaire il n'est que « des gens libres et des gens dont l'accusation a été prouvée ». Mais l'heure n'est pas à la clémence et l’on ne jure alors que par « la sainte guillotine » pour sauver la Révolution.
Et puis on restaure le suffrage censitaire, on rouvre la Bourse, on érige l’Empire, on rétablit l’esclavage, « bref, on décrassera le pays de ces momeries de gens égaux, de pain en partage et de peaux noires affranchies ».

Ce récit restitue les enjeux d’une époque trouble, que beaucoup s’obstinent prendre plus confuse encore. « L'Histoire n'est jamais qu’une façon pour les puissants de continuer à faire les poches aux morts. » Mais Joseph Andras veille au grain et, livre après livre, donne la parole aux vaincus, aux oubliés.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


 

POUR VOUS COMBATTRE
Récit
Joseph Andras
176 pages – 17,50 euros
Éditions Actes Sud – Collection « Un endroit où aller » – Arles – Mai 2022
www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/pour-vous-combattre

 

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