Le sport est-il un jeu ? La question – avec quelques autres – est posée à l’anthropologue Philippe Descola qui compare le modèle moderne que l’Occident a imposé au reste du monde, reposant exclusivement sur la compétition avec celui des sociétés amérindiennes.
Il distingue tout d'abord le jeu comme « une activité d'émulation et d’apprentissage qui se pratique dans l'enfance et l’adolescence », du jeu de nature rituelle, « avec des règles, pratiqué entre adultes », entre deux groupes de personnes bien définis qui coopèrent dans une action commune et mettent en marche un processus – de type cosmique, par exemple, dans le jeu de balle des Aztèques – qui échappe à la volonté individuelle de tous. Les situations de compétition sont apparues tardivement, dans les cours de chars et les tournois, puis dans les grandes écoles britanniques.
En Amazonie, le jeu est une activité d’éveil et d'apprentissage de la vie et des techniques tout au long de l'enfance et de l’adolescence. Dans les sociétés animistes, on trouve peu de forme rituelle du jeux. La pêche et la chasse peuvent être assimilées à des jeux dans le sens où elles nécessitent, pour surmonter la ruse de l’animal, non seulement de trouver sa trace mais surtout de se mettre à sa place, d'adopter son point de vue, un peu comme aux échecs.
Pour les « ontologies analogistes » qui considèrent le monde comme une fragmentation d’éléments, d’états, de processus, d’êtres, il s'agit de connecter ceux-ci par des réseaux de correspondance et de hiérarchies. Les jeux d’esprit, les devinettes, les comptines contribuent à s'entraîner intellectuellement à la recherche de correspondances. Ces jeux sont des propédeutiques car ils prédisposent à la recherche de liens.
« L'idée du jeu dans lequel l’un des participants triomphe sur l'autre est quelque chose qui, encore une fois, n’est pas absolument propre au monde moderne, mais qui a été, dans le monde moderne, complètement exacerbé par rapport à des conceptions du jeu qui privilégiaient l'activité ludique sur le résultat. » Philippe Descola considère qu’un match de football ou de rugby est « la variante ludique et plaisante à regarder […] d'une compétition individualiste beaucoup plus générale », liée à la théorie de l'individualisme possessif développée par Hobbes, Locke ou Harrington, au XVIIe siècle : tous propriétaires de nous-mêmes, nous entrons en relations avec autrui par le biais d’échanges marchands. Chaque individu est autant « le foyer de sa propre émancipation et de sa liberté » que celui d'une compétition pour acquérir biens, prestige, etc. « Le sport étant la quintessence empreinte de beauté de ce mécanisme », inventé dans les grandes écoles anglaises comme « un dispositif de façonnement des élites ».
Il explique l’enthousiasme pour le football en Amérique latine par la difficulté des États-nations à exister, laissant place à la prédominance de l’échelle régionale. Les gens s'identifient en premier lieu au club de football de leur ville et, au niveau national, l'opposition sportive créé une identité nationale manquante, selon le principe formulé par l'anthropologue américain Grégory Bateson : la schismogenèse complémentaire.
En quelques lignes et exemple à l’appui, Philippe Descola démontre que la compétition n’est pas inhérente au sport mais qu’au contraire ce principe a été imposé très récemment par l’Occident au reste du monde. Cet ouvrage s’avère cependant quelque peu décevant car, au lieu d’approfondir cette question fort intéressante, l’auteur, répondant aux questions de son interlocuteur, se disperse ensuite en égrenant une série de réflexions sur l’irruption du capital financier dans le sport, la symbolique de la mêlée, le triomphe de la consommation avec la transformation de la plupart des espaces en « lieux de dilection pour citadins », notamment pour la pratique sportive (« D’une certaine manière, l’Europe est devenue une sorte de Disneyland »), les humains augmentés, etc.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LE SPORT EST-IL UN JEU ?
Philippe Descola
80 pages – 10 euros
Éditions Robert Laffont/INSEP – Collection « Homo ludens » – Paris – Septembre 2022
www.lisez.com/livre-grand-format/le-sport-est-il-un-jeu/9782221264454
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