24 novembre 2022

L’INSURGÉE

Caroline Rémy, dite Séverine (1855-1929), première femme à diriger un quotidien national, a écrit plus de 6 000 articles. Cette sélection commentée constitue une sorte d’autobiographie journalistique.
Elle célèbre quelques figures admirées : Jules Vallès, bien sûr, qui l’initia à la profession et qu’elle accompagna dans ses derniers jours, les huit de Haymarket, Félix Pyat, Sarah Bernhardt, Victor Hugo, Louise Michel, Jean Grave, Jean-Baptiste Clément, Francisco Ferrer,…
Ses prises de position sont toujours très affirmées et argumentées, ce qui ne l’empêche jamais de toujours veiller à faire la part des choses : « J'ai trop l'horreur des théories et des théoriciens, des doctrines et des doctrinaires, des catéchismes d’école, des grammaires de secte, pour argumenter et discutailler à perte de vue sur l’acte d’un homme que le bourreau tiens déjà par les cheveux. » Ainsi, par exemple, si elle désapprouve la théorie du vol défendue par certains anarchistes, elle prendra tout de même la défense de Clément Duval lorsqu'il sera condamné, en s’opposant ainsi à une partie de la rédaction du Cri du peuple : « Nous passons notre vie à dire aux humbles (c'est notre conviction et c’est notre devoir) qu'ils sont volés, exploités, assassinés lentement ; qu'ils sont de la chair à machine, que leurs filles seront de la chair à plaisir, que leur fils seront de la chair à canon. Nous attisons les colères ; nous embrasons les intelligences ; nous incendions les âmes ; nous faisons, de ces parias, des citoyens, de ces résignés, des révoltés, au nom de la suprême justice et de l'équité souveraine. » Aussi reconnaît-t-elle sa part de responsabilité si certains impatients et exaltés « commettent quelque acte insensé ou coupable ».
Quand des querelles s’amplifient au point d’aboutir à des ruptures, elle trouvera toujours d’autres rédactions, acceptant même des collaborations discutables mais sans jamais rien renier à ses engagements.
Parmi ses prises de positions les plus déterminée, il faut bien entendu retenir celles concernant la condition féminine. Elle se montre particulièrement intransigeante, par exemple, sur le droit à l’avortement : « Dès qu’un être a été lâché sur la terre, si petit, si frêle, si touchant dans sa laideur et dans sa faiblesse, dès qu'il a vagi son premier cri, agité ses menottes, dénoué ses petons, il vit, il est sacré !
Avant, il y a une femme – et rien qu'une femme, vous m’entendez bien ! Cela est si juste qu'en cas d'accouchement difficile les médecins n’hésitent pas : ils sauvent la mère et laissent l'enfant dans le néant !
On les étonnerait rudement en les traitant d’avorteurs ! » « L'avortement est un malheur, une fatalité – pas un crime. La législation n'a pas le droit de punir ce qui est son œuvre, son œuvre à elle seule. Tant qu'il y aura de par le monde des bâtards et des affamés, le drapeau de Malthus – le drapeau tâché  du sang des infanticides avant la lettre – flottera sur ce troupeau d'amazones rebelles qui, forcées par vos lois de tenir leurs seins arides, ont le droit de garder leurs flancs inféconds. »
Après que l’armée ait ouvert le feu sur les ouvriers manifestant à Fourmies le 1er mai 1891, tuant neuf personnes, elle s’enflamme contre les journalistes qui, pour minimiser les faits, décrivirent « des femmes aux moeurs légères ».
L’année suivante, elle essaye de se faire embaucher comme casseuse de sucre pour témoigner au plus prêt du quotidien de ses femmes qui viennent de se mettre en grève, pour « connaitre, par expérience plutôt que par ouï-dire, les âpretés, les tristesses de ce métier » : « décrire la vie ouvrière ne suffit pas – il faut la vivre, pour en bien apprécier toute l’injustice et toute l'horreur. Alors, on sait ce dont on parle ; on est vraiment l'écho de ce qu'on a entendu, le reflet de ce qu'on a vu ; on s'imprègne jusqu'aux moelles de pitié et de révolte ! »
Elle fustige aussi « le viol légal commis par l’époux sur l’épouse » protégé par l’État, « le pouvoir illimité du chef de famille sur les siens », « legs de la vieille législation romaine », et la violence de ces « propriétaires ».

Remarquable travail éditorial des éditions L’Échappée avec cette sélection de textes qui rend compte tout autant des engagements de Séverine et de sa pensée, que de son parcours. L’ensemble constitue en filigrane une sorte d’autoportrait d’une femme de conviction à la plume résolument alerte.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


L’INSURGÉE
Séverine
Préface de Paul Couturiau
Postface de Laurence Ducousso-Lacaze et Sophie Muscianese
272 pages – 20 euros
Éditions L’Échappée – Collection « Lampe-tempête » – Paris – Octobre 2022
www.lechappee.org/collections/lampe-tempete/insurgee



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