LE GRAND INCIDENT

Panique au Louvre ! « En réaction à la représentation dévalorisante des femmes dans les œuvres ainsi qu'aux comportements misogyne de certains visiteurs », la quasi-totalité des nues féminins du musée ont décidé de… s’effacer. Les statues deviennent transparentes et les personnages féminins dénudés disparaissent des tableaux. Impossible de dire la vérité ni de les retirer sans que la presse ne soupçonne « un rachat par les Émirats ou alors l’adoption d’une pudibonderie à l’américaine », on préfère parler, pudiquement, d’un « grand incident ». Teresa, une femme de ménage qui a gagné la confiance des oeuvres et recueilli leurs doléances, a tenté d’alerter la direction en vain et proposera une sortie de crise pour le moins… iconoclaste !
Zelba, avec cette fable fantastique, traque la culture du viol qui imprègne l’histoire de l’art. Tandis que les corps masculins nus expriment, la plupart du temps, courage et force virile, les nus féminins sont représentées dans des poses de soumission ou d’humiliation, à la merci des hommes. « La nudité féminine n'est plus un état naturel du corps. Elle est systématiquement sexualisée. » Si l’on ne peut évidemment revenir en arrière, on pourrait expliquer au public le contexte de ses œuvres et inciter à un regard critique. L’exemple emblématique de l’histoire de Suzanne et des vieillards prouve que c’est toujours la nudité de celle-ci qui est représentée – jusqu’à rejeter souvent la responsabilité sur elle – mais jamais la lapidation de ses agresseurs.
Elle ne se contente pas d’utiliser le renversement de situations pour provoquer la réflexion (avec la prise de conscience du directeur qui subit des harcèlements alors qu’il est travesti (pour les besoins de sa fonction !), l’obligation faite aux visiteurs mâles et majeurs de visiter nus les galeries du musée), mais elle invite aussi à l’égalité : et Le Louvre devint le premier musée naturiste au monde !
Son utilisation de la bichromie, les personnages au trait noir évoluant dans des décors tantôt bleus tantôt rouges, permet de mettre en valeur les reproductions des oeuvres. Quant aux statues, elles deviennent sous ses coups de crayons singulièrement expressives.

Judicieux sans être sentencieux, provocateur tout en restant toujours drôle, subtile mais terriblement efficace.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

LE GRAND INCIDENT
Zelba
128 pages – 23,50 euros
Coéditions Futuropolis et Louvre éditions – Paris - Août 2023
www.futuropolis.fr/9782754834438/le-grand-incident.html