À l’encontre de bien des idées reçues et aussi des positions de certaines féministes, Bell Hooks montre que les hommes sont également victimes de la culture patriarcale qui les mutile, y compris dans leur vie affective, pour les contraindre à devenir des dominants. Elle prône une masculinité libérée, féministe et les invite à changer.
Si les premiers écrits du féminisme radical ont permis à la colère, la rage et même la haine envers les hommes de s'exprimer, aucune solution n’y était proposée pour imaginer une « culture de la réconciliation ». Il est par la suite apparu comme une évidence que la lutte contre le sexisme, l'exploitation et l’oppression sexistes nécessitait aussi l'engagement des hommes. « Cette idée que nous, les femmes, nous pourrions compter sur nos propres forces dans un monde dépourvu d'hommes, dans un monde où nous nierions nos liens avec les hommes, c'est une fiction produite par un féminisme de pacotille. Nous ne revendiquons pleinement notre pouvoir qu'au moment où nous pouvons dire la vérité, à savoir que nous avons besoin d'hommes dans nos vies, que les hommes sont dans nos vies que nous le voulions ou non, que nous avons besoin des hommes pour combattre le patriarcat, que nous avons besoin que les hommes changent. »
Elle décrit, « l'engourdissement affectif » à laquelle la socialisation patriarcale condamne les hommes : « Les mœurs patriarcale enseignent aux hommes une forme de stoïcisme affectif, d'après lequel il serait d'autant plus virils qu'il ne ressentent rien ; mais si par hasard ils devaient ressentir quelque chose, et que ces sentiments les blessent, la réponse viril consisterait à les étouffer, à les oublier, à espérer qu'ils s'en aillent. » Seule l'expression de la colère est valorisée, devant, dès lors, « le meilleur refuge pour qui cherche à dissimuler sa souffrance et son angoisse spirituelles ». Notre culture et les standards patriarcaux de la virilité préparent les hommes à embrasser la guerre, apprennent aux garçons que c'est leur nature de tuer, et qu'ils n'y peuvent rien faire. Seule une éthique de l'amour peut entraîner une révolution des valeurs et mettre fin à la violence masculine. Dans une « culture antipatriarcale » telle qu’elle la conçoit « les hommes n'ont pas à prouver leur valeur et leur utilité. Ils savent dès leur naissance que le simple fait d'exister leur donne une valeur, le droit d'être chéris et aimés » Elle se souvient comment sont frère a appris à masquer ses sentiments à son adolescence, comment son grand-père, avec la vieillesse, trouvait plus facile de se montrer déloyal envers le patriarcat, comment les figures de son père et de sa mère ont façonné ses modèles d'amour et de désir.
Elle définit le patriarcat comme « un système politico-social qui affirme que les hommes sont intrinsèquement dominants, supérieurs à tout ce qui est considéré comme faible, en particulier les femmes, dotés du droit de dominer et de régner sur les faibles, et de maintenir cette domination par diverses formes de terrorisme psychologique et de violence » et mets en lumière le rôle que les femmes jouent dans sa perpétuation. Si nous entendons parlé le plus souvent de maltraitance et de viol commis par des partenaires domestiques, elle soutient que « les formes de violences patriarcales les plus répandues sont celles que font subir les parents patriarcaux à leurs enfants au sein du foyer » afin de renforcer un système institutionnalisé de rôles genrés. Elle soutient d’ailleurs que les mères seules sont souvent plus brutales dans leurs contraintes à l’encontre de leurs fils à se soumettre aux standards patriarcaux, exigeant qu'ils « se livrent à des actes d’automutilation psychique, qu'ils exterminent leur moi affectif », et étudie ce « sadisme maternel » en général.
Elle constate aussi le poids de la propagande culturelle patriarcale diffusée à grande échelle qui contraint les rares garçons élevé dans des foyers antipatriarcaux à apprendre à mener une double vie : éprouvant et exprimant des sentiments à la maison, puis se conformant au rôle du garçon patriarcal en dehors. Elle montre comment Harry Potter ou Hulk, par exemple, contribuent à la promotion des attitudes patriarcale.
Elle analyse la rage que suscite l’apprentissage du patriarcat chez les garçons, contenue comme une ressource à exploiter plus tard. « En tant que produit national, cette rage peut être recueillie pour promouvoir l'impérialisme, la haine et l'oppression des femmes et des hommes dans le monde entier. Cette rage est nécessaire si l'on souhaite faire de ces garçons des hommes prêt à voyager dans le monde entier pour faire la guerre sans qu'ils n'exigent jamais que l'on trouve d'autres moyens de résoudre les conflits. »
Elle aborde également « l’obsession des hommes pour le sexe » et la pornographie patriarcale, la promesse d'épanouissement des garçons grâce à l'argent acquis par le travail, et bien entendu ce qu’elle entend par « la masculinité féministe », une « masculinité qui ne soit pas synonyme de domination ou de volonté de faire violence ».
Conçu à la manière d’un recueil d’articles indépendants plutôt que comme un essai cohérent, cet ouvrage souffre de redites nombreuses qui peuvent décourager la lecture. Cependant, son contenu, novateur et original, mérite largement l’effort de passer outre.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LA VOLONTÉ DE CHANGER
Les hommes, la masculinité et l’amour
Bell Hooks
234 pages – 16 euros
Éditions Divergences – Paris – Octobre 2021
www.editionsdivergences.com/livre/la-volonte-de-changer-les-hommes-la-masculinite-et-lamour
Titre original : The will to change : Men, Masculinity, and Love, Atria Books, New-York, 2004
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